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  14. ÉPITAPHE DE PHILON

Département de l'Art antique, inv. 198848.

Découverte à Tigani, site de la nécropole de la ville ancienne de Samos. Achetée pour la collection du Lyceum Hosianum à Braunsberg avant 1913, depuis 1947 au Musée National de Varsovie.

Marbre blanc. Stèle avec niche; h. 57,5 cm, l. 48 cm, ép. 11,5 cm; seule la partie inférieure est préservée, surface de la pierre corrodée à plusieurs endroits, lettres détériorées au coin supérieur gauche. Dans la niche, un banquet funèbre est représenté en bas-relief. L'inscription figure au-dessous du relief. Lettres carrées mais avec des éléments arrondis très nets. Alpha à barre brisée, la haste droite dans l'alpha et dans le delta prolongée vers le haut, dans le thêta le trait horizontal est court et ne touche pas à la panse, dans le pi et dans le nu la haste droite est plus courte que la gauche, les traits obliques du kappa ainsi que les traits inférieurs de l'epsilon et du sigma sont arrondis. H. des lettres: 0,8 - 0,9 cm, h. moyenne d'interligne: 0,5.

D'après l'estampage et la copie de Th. Wiegand, U. Wilamowitz-Moellendorff, Nordionische Steine [= Abhandlungen der Königlichen Preussischen Akademie der Wissenschaften zu Berlin], Berlin 1909, p. 62-63, no. 21 (J. Geffcken, Griechische Epigramme, Heidelberg 1916, p. 89, no. 214). D'après la pierre au Lyceum Hosianum à Braunsberg, W. Weißbrodt, Verzeichnis Braunsberg, Sommer-Semester 1913, p. 8, no. 10 (Peek, Gr. Vers-Inschr., no. 1154; Peek, Gr. Grabgedichte, p. 116-117, no. 166). D'après la pierre au Musée National de Varsovie, A. Sadurska, RMNW 4 (1959), p. 182-186, no. 3, fig. 3 (R. Horn, Hellenistische Bildwerke auf Samos [= Samos 12], Bonn 1972, p. 196-197, no. 166 d, avec commentaire archéologique très détaillé; Pfuhl-Möbius, Grabreliefs II, p. 438, no. 1821, pl. 262). D'après la pierre, A. Twardecki dans: XI Congresso Internazionale di epigrafia Greca e Latina, Roma 1999, p. 741.

Cf. A. Greifenhagen, Arch. Anz. 1933, coll. 440-442, no. 10, phot. 22 (commentaire archéologique). P. Roussel, R. Flacelière, Bull. épigr. 1936, p. 377 (révision de la publication de Greifenhagen). E. Pfuhl, Arch. Anz. 1934, coll. 342-343 (commentaire iconographique concernant la représentation du banquet). A. Forbes, « Parefebos », Class. Phil. 38 (1943), p. 45-46 (sur le terme parefhbei/a). E. Griessmair, Das Motiv der mors immatura in den griechischen Grabinschriften [= Commentationes Aenipontanae 17], Innsbruck 1968, p. 57-59 (motif de la chlamyde symbolisant l'éphébie, rapports entre l'inscription et la représentation). A. Stecher, Inschriftliche Grabgedichte auf Krieger und Athleten. Eine Studie zur griechischen Wertprädikationen, Innsbruck 1981, p. 87 (sur la structure de l'épigramme). A. Łajtar, ZPE 125 (1999), p. 153-154, no. 15 (bibliographie).

150-50 av. J.-C., d'après la paléographie et les caractéristiques stylistiques du relief.

[cu]xoliph\j polu/dakruj )Ephra/tou e)nqa/de kei=tai

[k]ou=roj, patri\ lipw\n pikra\ go/wn pa/qea

[m]atri/ te pamplhqu\n qrh/nwn go/on. e)g de\ loxei/aj

 4 [»]di=na stugerh\n efij )Ai/dan ¶teken.

êrti ga\r e)j mwn porpa/mata qh/kato kou=roj

kai\ parefhbei/hj e)jete/lei pe/rata,

êlkimon e)n sth/qessin ¶xwn fre/na: pagkrati/wi de\

 8 )iqe/wn ni/kan ≥rato kuda/limon.

h( de\ bi/ou stre/pteira li/nou klwsth=ri biai/wi

Moi=ra Fi/lwni bi/ou pikro\n ¶qhke te/loj.

dakruxarh\j )Ai/daj ga\r )na/rpasen ou)d' u(menai/wn

12 d#dou=xon fili/hj te/rcin )eira/menon.

Mi/nwj, e)n qnatoi=si dikastu/aj ¶joxa krei/nwn,

to\n ne/on eu)sebe/wn xw/rwi e)nagla/ison.

3. qrhnw=n Peek, Gr. Vers-Inschr. | e)k Peek, Gr. Vers-Inschr. || 11. u(me/naion Sadurska || 13. lire kri/nwn

Dépourvu de vie, fortement pleuré, le fils d'Eparatos repose ici; il laissa à son père plaintes et deuil cruel, des torrents de larmes à sa mère, car le fruit malheureux de ses entrailles échut de fait à Hadès. Le garçon venait juste de quitter sa chlamyde à boucle au terme de la paréphébie, faisant preuve d'un coeur vaillant prêt à combattre; il avait remporté une excellente victoire dans le pancrace des jeunes; mais celle qui dévide le fil du destin, Moira, par un mouvement rapide du fuseau, mit triste fin à la vie de Philon; et Hadès, qui se réjouit des larmes, enleva celui qui n'avait pas connu la joie des chants nuptiaux qui mènent à l'amour. O Minos, toi qui rends les plus sages verdicts parmi les défunts, honore le garçon en le plaçant dans le lieu des pieux.

Le mot cuxoliph/j est un néologisme, créé et employé par les auteurs de poésies funéraires; en dehors de l'inscription étudiée, ce mot ne figure que dans une épitaphe métrique de Smyrne: Peek, Gr. Vers-Inscr., no. 874 = I.K. 23 [Smyrna I], 522, 10: patro\j ko/lpouj e)nideu/saj a·matoj ofiktrofo/nou cuxoliph\j noti/sin.

Il s'agit d'un souvenir homérique; voir Il. V 156-157: pate/ri de\ go/on kai\ kh/-dea lugra\ lei=p'. Les variations au sujet de cette expression sont fréquentes dans la poésie funéraire; cf. entre autres Peek, Gr. Vers-Inschr., no. 1540 = I.K. 23 [Smyrna I], 519, 2: ka/llipej afiakto\n soi=si tokeu=si go/on; Peek, Gr. Vers-Inschr., no. 771, 6: stugero\n matri\ le/loipe go/on; SEG XLI 1041: afiakto\n de\ goneu=si go/on kai\ pe/nqea lei/pwn; TAM V 1, 685, complété par W. Peek, ZPE 51 (1983, p. 198: mhtrw/[es]si lipo/nta go/ouj.

3-4.L'enfant mort, fruit du sein maternel, est regretté en termes similaires dans SEG XL 563 (Macédoine, 150-50 av. J.-C.): Sw/stratoj ı spei/raj Timw\ de/ me gei/nato ma/thr Swpa/traw stugero\n d' ≥luqon efij )Ai/dan, oÎpw lusa-me/na mogera\n »di=na loxei/aj )ll' ¶ti numfidi/wn èptome/na qala/mwn.

Le thème d'Hadès qui tire profit des efforts éducatifs des parents en leur enlevant l'enfant au seuil de la maturité apparaît déjà chez Euripide, Suppl. 919-924 (Wecklein): ... po/nouj e)negkou=j' e)n »di=si. kai\ nu=n ÜAidaj to\n e)mo\n ¶xei mo/xqon )qli/aj, e)gw\ de\ ghrobosko/n ou)k ¶xw tekou=s' è ta/laina pai=-da. Cette idée est fréquente dans les épigrammes funéraires de jeunes enfants; cf. p. ex. infra, no. 16, l. 2: ≥ndrwj' efij )Ai/dhn; Peek, Gr. Vers-Inschr., no. 562, ll. 3-4 = I.K. 23 [Smyrna 1], 553 (Smyrne, I/II s. ap. J.-C.): oÂj ¶trefe/n se Moi/raij et surtout Peek, Gr. Vers-Inschr., no. 1419, 1-2 = AP VII 468 où, tout comme dans l'inscription étudiée, apparaît le motif de la chlamyde symbolisant l'accès au monde des adultes: ofiktro/taton ma/thr se, Xari/jena, dw=ron e)j )Ai/dan Ùktwkaideke/ten e)sto/lisen xlamu/di (cf. infra, commentaire des lignes 5-6). Pour les généralités sur ce thème voir E. Griessmair, op. cit., p. 43.

5-6.Wilamowitz, loc. cit., pensant que le terme parefhbei/a désignait l'âge pré-cédant l'éphébie, voyait dans porpa/mata un vêtement d'enfant. W. Peek dans Gr. Grabgedichte interprète ce terme de la même façon. De son côté, après une analyse approfondie de témoignages littéraires et épigraphiques et compte tenu du fait que Philon enfant n'aurait jamais pu remporter la victoire dans le pancrace, A. Forbes, loc. cit., tente de prouver, de manière convaincante, que parefhbe¤a se rapporte à l'âge qui suit l'éphébie; le terme porpa/mata désignerait dans cette situation la chlamyde, symbole de l'éphébie. L'argumentation de Forbes étant fort plausible, il est possible d'admettre que Philon est mort à l'âge de vingt ans environ.

Le fait de revêtir (ou de quitter) sa chlamyde constituait un geste symbolique signifiant le début (ou la fin) de l'éphébie; cf. Ph. Gauthier, « Les chlamydes et l'entretien des éphèbes athéniens », Chiron 15 (1985), p. 157-158; idem, « A propos des chlamydes des éphèbes: note rectificative », Chiron 16 (1986, p. 15-16. Lorsque la mort suivait de près cet événement, on ne manquait pas de le signaler dans les épitaphes métriques en utilisant souvent, au début de la phrase, l'expression rhétorique êrti - « il venait juste de ... », « il venait à peine de ... »; cf. p. ex. Peek, Gr. Vers-Inschr., no. 771, 3-4 = I.K. 23 [Smyrna I], 552: êrti ga\r eu)mo/xqou e)pi\ gumna/doj ègno\n e)fh/bou sxh=ma laxw\n e)rata\n  lesen èliki/an: êrti d')riqmo\n e)tw=n ©j kai\ de/ka terpno\j )mei/bwn; IG XII 7, 447 = Peek, Gr. Vers-Inschr., no. 48 (Aigiale sur Amorgos): êrti ga\r e)k xlamu/doj neopenqh\j 'xet' e)j ÜAida Ùktokaidexeth/j, matri\ lipw\n da/krua (sur cette inscription voir M. Sève, REG 109 [1996], p. 683-688); Peek, Gr. Vers-Inschr., no. 945 (Chios, II s. av. J.-C.): êrti d' e)fhbei/aij qa/llwn Dionu/sioj )kmai=j kai\ seli/sin Mousw=n ≥luqon efij )Ai/dan. Voir aussi Peek, Gr. Vers-Inschr., no. 119 (Ikaria, II/III s. ap. J.-C.): dwdeke/touj ta/foj efimi\ Filokle/oj ˘n qe/to ma/thr )xnume/na lugro\n pai=da Filokra/tea sxe/tlioj ou)d' ¶fqh xlamu/daj peri\ xrwti\ bale/sqai ou)d' e)sidei=n ÑErmh=n gumnasi/ou pro/edron; Peek, Gr. Vers-Inschr., no. 1634, 3-4 (Athènes, III s. ap. J.-C.): oÏneken ou)k ¶fqen xlai=nan peri\ au)xe/ni qe/sqa[i], kw/m%e)n h)gaqe/%pausa/menoj bio/tou; I.K. 20 [Kalchedon], 32: oÎpw e)feibh/hn qhka/menoj xlamu/da, tw=i sofi/a meme/lhto kai\ eu)mo/xqwn )p' )gw/nwn ni/kh kai\ glukeroi\ PÛeri/dwn ka/matoi et Peek, Gr. Vers-Inschr., no. 2081 (Milet, I s. av. J.-C.): [ ---] | kai\ to\n e)fhbei/hj k[o/]sm[o]n )eiro/menon où la partie détériorée du texte contenait sans doute une négation. Sur la chlamyde comme tenue des éphèbes (étude basée sur des données archéologiques) voir S. Schmidt, Hellenistische Grabreliefs. Typologische und chronologische Beobachtungen [= Arbeiten zur Archäologie], Köln - Wien 1991, p. 129-132.

9-10.Pour le thème de Moira filant le destin à la quenouille, cf. p. ex. Peek, Gr. Vers-Inschr., no. 1471 (Panticapée, II/I s. av. J.-C.), 8-9: )ll' e‡ se klwsth\r Moire/wn e)ro/mbisen pro\j deino\n ¶gxoj barba/rwn neneuko/ta et Peek, Gr. Vers-Inschr., no. 774 (Héraclée du Latmos, II/I s. ap. J.-C.), 6: Moirw=n ga\r klwsth=ri te/l[oj] bio/toio te/tuktai. Ce thème se répète dans trois poèmes funéraires provenant d'Edfou (Apollonopolis Magna), en Haute Égypte, datés de la basse époque hellénistique, attribués à un certain Hérodès: Peek, Gr. Vers-Inschr., no. 1151 = Bernand, Inscriptions métriques, no. 5, l. 15; ...j d' Moi=r' e)da/masse bioklw/steira; Peek, Gr. Vers-Inschr., no. 1152 = Bernand, Inscriptions métriques, no. 6, l. 3: [Moi/raj d]e\ bioklwstei/raj )ei/dwn, ll. 17-18: o‡moi, sh\n fili/hn tij e)xw/risen, w)= fil' )delfe/, efi mh\ klwsth/rwn )krito/fula ge/nh; Peek, Gr. Vers-Inschr., no. 1150 = Bernand, Inscriptions métriques, no. 35, ll. 13-14: œn m' )pexw/ris' ı pa/nt' e)forw=n Xro/noj, h)de\ su\n au)t" Moi=rai klwstei/rwn nh=san )p' )qana/twn. Sur le thème de Moira, voir aussi commentaire de Vérilhac, PAIDES AVROI II, § 152.

11-12.Une tombe à la place du lit nuptial, des larmes de deuil après la mort d'un jeune homme au lieu de la joie à l'occasion de ses épousailles constituent un topos fréquent dans la poésie funéraire grecque; cf. en particulier Peek, Gr. Vers-Inschr., no. 950, 3 (Phrygie, sans doute I s. ap. J.-C.): œi go/on, ou)x u(me/naion e)dadouxh/sato [mh/]t[hr]; Peek, Gr. Vers-Inschr., no. 1005, 3-4 (Rhénée, I s. ap. J.-C.): Moi=ra ga\r ou)x u(me/naion e)moi\ po/ren, )nti\ de\ peu/khj numfi-di/ou stu/gion purkaÛh\n fqime/nwn; Peek, Gr. Vers-Inschr., no. 1584, 5-6: )nti\ de/ moi qala/moio kai\ eu)ie/rwn u(menai/wn tu/mboj kai\ sth/llh kai\ ko/nij e)xqrota/-th ainsi que d'autres exemples recensés par W. Peek, Maia 20 (1968), p. 370; voir aussi Vérilhac, PAIDES AVROI II, § 78. Sur l'épithète d'Hadès - dakruxarh/j, voir Vérilhac, PAIDES AVROI II, § 94.

14. La lecture xw/rwi e)n )gla/ison est également possible.

 [A.Ł.]


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