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11. ÉPITAPHE DE THÉODOTOS

Département d'Art de l'Orient chrétien, inv. 198794.

Découverte au début du XX s., avec d'autres épitaphes chrétiennes (ici nos 7, 8, 9, 10, 12), pendant les travaux de construction dans le quartier de Pera (quartier nord de Constantinople, au nord de la Corne d'Or), à proximité de l'endroit où se trouvait l'ambassade de Russie, rue Asmali Mesdjid. Puis au Lyceum Hosianum à Braunsberg, depuis 1947 au Musée National de Varsovie.

Marbre blanc. Plaque; h. 59 cm, l. 34 cm, ép. 2 cm; le haut et le bas de la plaque ébréchés. La partie supérieure de la plaque fut travaillée de manière à rappeler une stèle à acrotères. Le trait vertical au-dessus de l'inscription faisait sans doute partie d'une grande croix. Lettres lunaires légèrement inclinées, d'allure cursive, réglage, signes d'abréviation en forme de S. Les mêmes lettres présentent des formes différentes: l'alpha soit à la barre brisée soit à la barre oblique; deux formes du mu: la première aux traits médians droits et prolongés au bas, l'autre cursive; le delta avec le trait droit prolongé en haut et la panse arrondie, l'upsilon en forme de petit chevron, sans le trait vertical. H. des lettres 4,1 - 4,3 cm.

D'après la pierre à Constantinople, Th. Wiegand, AM 33 (1908), p. 147, no. 4. D'après la pierre au Musée National de Varsovie, A. Łajtar, Epigr. Anatol. 20 (1992), p. 107-108, no. 3, pl. 7, 3 (H. W. Pleket, SEG XLII 637). D'après la pierre, A. Twardecki dans: XI Congresso Internazionale di Epigrafia Greca e Latina, Roma 1999, p. 743.

Cf. H. Grégoire, Revue de l'instruction publique en Belgique 51 (1908), p. 163 (sur la lecture de la date dans la l. 8). L. Jalabert, R. Mouterde, DACL VII 1 [1926], col. 682 (64) s.v. «Inscriptions grecques chrétiennes» (sur la couronne comme récom-pense posthume et éternelle d'un chrétien). L. Robert, Hellenica XIII [1965], p.

220-221 (sur l'épithète gnh/sioj). D. Feissel, Bull. épigr. 1994, 743 (sur la publication de Łajtar dans Epigr. Anatol. 20; sur la date, sur la forme labÒw). A. Łajtar, ZPE 125 (1999), p. 153, no. 11 (bibliographie).

648 ou 693 ap. J.-C. (coïncidence: dimanche, 18 mai, sixième indiction)

€ e)nqa/de kata/k-

ite Qeo/d-

otoj, o( e)mo\j g- /span>

4 nh/sioj ui(-

o/j, gena/menoj m-

ou= poqi-

to/j: mhni\ Mai+/o| h-

8 i /, h((žme/r#Ÿ a /, i)ndžikti/wnojŸ j /. e)tel<i>-

o/qi labo\j ste/-

fanon xruso\n e)n Xr<i>sto|=, a)mh/n.

1-2. e)/nqade Wiegand (faute d'inattention) | lire kata/keitai || 2-3. Qeodo/toj Twardecki [1999] (faute d'inattention) || 5. gename/noj Wiegand (faute d'inattention) || 6-7. lire poqhto/j || 7. mhnh žsicŸ Twardecki [1999] || 7-8. mai=on (so) IPA i)ndSS Wiegand, mhni\ mai+/o h((žme/r#Ÿ i /ž= deka/t$Ÿ pažraskeu$=Ÿ Grégoire, Ma/ion i / Łajtar [1992], Twardecki [1999]; lire Mai+/% || 8-9. lecture e)telio/qi est également possible, car le trait oblique après le «l» à la fin de la ligne 8 peut correspondre à la lettre «i» mal gravée, e)telio/qh Wiegand; lire e)teleiw/qh || 9. lire labw/n || 11. Xristo Wiegand, lire Xrist%=

Ici repose Théodotos, mon cher et regretté fils; (il est mort) le dimanche 18 mai de la sixième indiction; il a terminé sa vie en recevant en récompense une couronne d'or dans le Christ, amen.

4-7.Les deux épithètes du défunt Théodotos, gnh/sioj et poqhto/j, sont caractéristiques des épitaphes chrétiennes de l'Antiquité tardive issues d'Asie Mineure et de la péninsule des Balkans. Les mêmes épithètes apparaissent dans l'épitaphe d'une certaine Jeanne de Thessaloniques (535 ap. J.-C.) (Feissel, Recueil Macédoine, no. 135) et dans une inscription tardive (XIV s.) sur l'habillage en argent d'une icône de Mésambria, comme épithètes d'un membre (inconnu de nom) de la famille du tsar bulgare (V. Beševliev, Spätgriechische und spätlateinische Inschriften aus Bulgarien, Berlin 1964, no. 160b).

Sur l'emploi affectif de gnh/sioj, qui apparaît surtout dans les inscriptions du Bas Empire, cf. L. Robert, Hellenica XIII [1965], p. 218-222; idem, Ant. Class. 35 (1966), p. 387-388 = Op. Min. VI, p. 11-12; idem, Ant. Class. 37 (1968), p. 423 = Op. Min. VI, p. 99. Sur poqhto/j voir M. N. Tod, «Laudatory Epithets in Greek Epitaphs», BSA 46 (1951), p. 189, avec des remarques critiques de J. et L. Robert, Bull. épigr. 1952, 31, signalant que l'épithète en question entre surtout dans le répertoire de la poésie funéraire. Aux deux occurrences de l'épithète poqhto/j inventoriées par M. N. Tod (IG VII 3434, IG IX 2, 844) on peut ajouter les emplois suivants: IG V 2, 491 (Mégalopolis en Arcadie, épitaphe métrique); SEG XXVIII 1071, 8-9 (Bithynie?, III s. ap. J.-C., épitaphe métrique); I.K. 10 [Katalog Iznik], 1324 (Nikaia, épitaphe en prose avec prétentions littéraires); SEG XXXV 1985, 1160 (Ayazviran, I s. av. J.-C., épitaphe métrique); TAM V 1, 743, l. 9 (Iulia Gordos, II s. ap. J.-C., épitaphe métrique); E. Haspels, The Highlands of Phrygia, Princeton 1971, p. 311, no. 37, (épitaphe métrique); Studia Pontica III, no. 84 (Néoclaudiopolis, période impériale, épitaphe en pseudo-hexamètres); IG XIV 177 (épitaphe chrétienne en prose dans les catacombes de Syracuse); SEG XX 771 (Teucheria-Arsinoé en Cyrénaïque, II s. ap. J.-C., épitaphe en prose). Le terme latin correspondant au grec poqhto/j, poqhth/ - desideratus, desiderata, est souvent employé comme nom; cf. I. Kajanto, Latin cognomina, Helsinki 1965, p. 296, 363.

7-8. Le passage de l'inscription qui contient la date pose de nombreux problèmes de lecture et d'interprétation. Premièrement, à la fin de la ligne 7, le lapicide a rectifié l'êta en nu, il est donc difficile d'établir une lecture correcte. Deuxièmement, les trois traits verticaux au début de la ligne 8, dont deux derniers sont barrés d'un trait oblique, donnent l'impression d'une erreur commise par le lapicide. En effet, on pourrait lire mhni\ Mai+/oh / ... {IIIA}, i)ndžikti/wnojŸ j / ou mhni\ Mai+/on ... {III} a /, i)ndžikti/wnojŸ j /; une autre lecture, à savoir: mhni\ Mai+/o| h /, ... {III} a / i)ndžikti/wnojŸ. žkai\Ÿ e)tel<i>o/qi ktl. est tout i aussi possible. Notre proposition: mhni\ Mai+/o| h...i /, h(žme/r#Ÿ a /, i)ndžikti/wnojŸ j / n'est pas évidente du point de vue paléographique, on lui trouve cependant de nombreux analogues dans les inscriptions chrétiennes de Constantinople. D. Feissel, Travaux et Mémoires X (1987), p. 426, note 40, propose une lecture identique du passage en question. Si cette lecture est correcte, la coïncidence: le dimanche 18 mai, sixième indiction, permettra de dater l'inscription de 648 ou de 693, les seules dates annuelles possibles aux VI et VII siècles.

Sur la couronne comme récompense posthume du pieux chrétien voir, pour les généralités, G. H. R. Horsley, New Documents Illustrating Early Christianity 2, Macquarie University 1982, p. 50. La couronne comme récompense post-hume du pieux chrétien est une conception née sans doute sous l'influence de l'agonistique antique. Selon le Nouveau Testament et l'enseignement des Pères de l'Eglise, la vie d'un homme est un agon présidé par le Christ qui, comme agonothète, décerne des prix; cf. L. Robert, CRAI 1982, p. 264-265 = Op. Min. V, p. 827-828. ste/fanoj comme récompense céleste est souvent mentionné dans le Nouveau Testament; cf. surtout 1 Co. 9. 25: i(/na fqarto\n ste/fanon la/bwsin; Jac. 1. 12: lh/myetai to\n ste/fanon th=j zwh=j ainsi que Apoc. Joh. 3. 11: i(/na mhdei\j la/b$ to\n ste/fano/n sou, qui semble avoir inspiré directement l'inscription étudiée. Les passages de la littérature patristique renvoyant à cette conception ont été recueillis par l. Robert, loc. cit.; cf. aussi l'invocation ... kai\ do\j au)t%= to\n ste/fanon th=j dikaiosu/nhj présente dans la liturgie funéraire de l'Église byzantine; J. Goar, EUXOLOGION sive rituale Graecorum, Venice 1730 [reprint Graz 1960], p. 350, 352. La couronne comme récompense céleste est relativement rare dans l'épigraphie funéraire chrétienne. En voici quelques exemples: nu=n ko/smoj h(du\j sxh=ma/ soi qei=on me/ga nu=n ou)n ba/d[iz]e pro\j qeo\n stefhfo/roj (CIG 9283: Nymphaion aux environs de Smyrne); Plouti/wn maka/rioj parqe/noj marturh/saj t%= že)/teiŸ iq / e)koimh/qh e)tw=n ma / e)poreu/qh ei)j xw/ran makari/wn e)/xwn stefa/nouj du/o (SB IV 7315: Égypte, vraisemblablement vers 400 ap. J.-C.; sur cette inscription voir A. Łajtar, E. Wipszycka, JJP 29 [1999], p. 67-73); ... eu)xome/nhn se, qeo\[j] stef[an]w/sei ... (IG XIV 174 = Wessel, Inscr. Graec. Christ. Vet. Occ. 1108: Syracuse, dans les catacombes St. Jean); zwh\n e)w/nion klhronomh/sasa, a)mara/ntinon ste/fanon e)/laben (A. Łajtar, ZPE 97 [1993], p. 227-228: épitaphe d'une certaine Rilla, actuellement au Musée Copte du Caire); au)th\ d' ou)rani/hn a(gi/wn po/lin a)mfipoleu/ei misqo\n e)/xousa po/non ou)rani/ouj stefa/nouj (Lefebvre, Recueil, no. 423: Hermônthis en Haute Égypte); cf. aussi une épitaphe métrique latine, Carmina Latina Epigr. 749: coronam pacis habes, quam castis dat ab origine prince (= princeps) regnare qui quivit, sanctis dedit victoriae palma.

labo/j (= labw/n): assimilation phonétique attestée souvent dans des contextes similaires.

[A.Ł.]


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