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5. DÉDICACE D'UNE STÈLE À ISIS ET À SARAPIS PAR ARTÉMIDOROS, ANCIEN NAUARCHÈS DE LA FÊTE DES PLOIAPHÉSIA

Département de l'Art antique, inv. 198814

Lieu et contexte de la découverte inconnus. Vu par Th. Wiegand à Constantinople vers 1911. Avant 1913, le marbre entre dans la collection du Lyceum Hosianum à Braunsberg où il porte de no d'inv. 1184. Depuis 1947 au Musée National de Varsovie. La pierre provient d'une des cités grecques sur les côtes occidentales de la mer Noire ou sur le littoral thrace de la mer de Marmara, très vraisemblablement de Byzance (voir infra).

Marbre bleuâtre. Plaque épaisse; h. 38 cm, l. 33 cm, ép. 11,5 cm; manque le bas de la stèle; surface altérée dans la partie inférieure; aux coins inférieurs, lettres partiellement abîmées. Lettres carrées, apices, points de séparation entre les lettres désignant le nombre, manque la barre supérieure dans l'epsilon final à la ligne 2. Alpha à barre brisée ou à trait horizontal, trait horizontal du thêta est court et ne touche pas à la panse, iota à la fin de la ligne 1 muni d'un trait horizontal en haut de la lettre tracé vers la droite (erreur du lapicide), traits obliques du kappa très courts, pi à haste droite très courte. H. des lettres: 1,0 - 2,0 cm, h. moyenne d'interligne: 1,0 cm.

D'après la pierre vue à Constantinople et attribuée à Byzance, Th Wiegand, AM 36 (1911), p. 287-288, no. 2 (L. Deubner, « PLOIAFESIA», AM 37 [1912], p. 180-182: rectifie la lecture de Wiegand aux lignes 9-10; Cagnat-Besnier, AE 1912, 213; A. Reinach, Rev. épigr. 1 [1913], p. 210; V. Ehrenberg, A. H. M. Jones, Documents Illustrating the Reigns of Augustus and Tiberius, Oxford 1949, p. 93, no. 167; L. Robert, Hellenica X [1955], p. 24-26 avec un vaste commentaire; L. Vidman, Sylloge Inscriptionum Religionis Isiacae et Sarapiacae [= Religionsgeschichtliche Versuche und Vorarbeiten 28], Berlin-New York 1969, p. 59, no. 130; M. Tacheva-Hitova, Eastern Cults in Moesia Inferior and Thracia (5th century B.C. - 4th century A.D.) [= Études Préliminaires aux Religions Orientales dans l'Empire Romain 95], Leiden 1983, p. 32-35, no. 54, avec discussion sur la date et la provenance de la dédicace). D'après la pierre à Braunsberg, W. Weißbrodt, Verzeichnis Braunsberg, Sommer-Semester 1913, p. 15, no. 12. D'après la pierre au Musée National de Varsovie, A. Łajtar, I.K. 58 [Byzantion], 324.

Cf. K. Hanell, Megarische Studien, Lund 1934, p. 157, note 1 (sur la date). L. et L. Robert, Bull. épigr. 1956, 166 (sur la publication de L. Robert, Helle-nica X). SEG XVI, 428 (sur la publication de L. Robert, Hellenica X). L. Robert, Hellenica XI-XII [1960], p. 578, pl. XVIII, 1 (identifie l'inscription au Musée National de Varsovie et publie pour la première fois sa photographie). L. Vidman, Isis und Sarapis bei den Griechen und Römern [= Religionsgeschichtliche Versuche und Vorarbeiten 29], Berlin-New York 1970, p. 76-78 (sur la fête Ploiaphésia), p. 78-88 (sur les nauarchoi dans le culte des divinités égyptiennes). Apuleius of Madauros, The Isis-Book (Metamorphoses, Book XI). Edited with an Introduction, Translation and Commentary by J. Gwyn Griffiths [= Études Préliminaires aux Religions Orientales dans l'Empire Romain 39], Leiden 1975, p. 268 (sur Ploiaphésia). A. Łajtar, ZPE 125 (1999), p. 152-153, no. 5 (bibliographie).

Peu avant 14 ap. J.-C. (date du règne du roi thrace Rhoimétalkès)

)/Isidi kai\ Sara/pidi:

basileu/ontoj ÑRoimh?

ta/lkou, mera<r>xou=n{R}

4toj de\ )Artemidw/-

rou tou= Fi<l>ostra/-

tou, ¶touj e(le(be( )Arte-

mi/dwroj Suni/sto-

8              roj uflo\j nauarxh/

saj ta\ mega/la pl?[oi]

afe/sia to\n tela-

mw=na )ne/qhken.

1. )/Isidi, Sara/pidi Wiegand, Robert, Weißbrodt || 2-3. ÑRoimeta/lkou Łajtar [1999] || 5-6. fiaostratou pierre || 9-10. Pa[n]afe/sia Wiegand, Weißbrodt, Pl[oi]afe/sia suppl. Deubner

À Isis et à Sarapis. Artemidoros fils de Synistor, ancien nauarchès des Grandes Ploiaphésia, érigea la stèle à l'époque où régnait Rhoimétalkès et la fonction de mérarchès était exercée par Artémidôros, fils de Philostratos, en l'an 32.

La provenance de l'inscription est inconnue. Wiegand, qui avait vu la pierre à Constantinople, l'attribua à Byzance. Pour notre part, nous sommes prêts à partager l'opinion de L. Robert, Hellenica X [1955], p. 24-26, qui opte très fortement pour la thèse de l'origine byzantine du monument. L. Robert met l'accent sur les éléments suivants de l'inscription: 1) le terme τελαμω=ν est caractéristique des régions de la mer de Marmara et des côtes occidentales de la mer Noire; 2) puisque l'inscription mentionne les Ploiaphésia, fête liée à l'ouverture de la navigation, il ne peut être question que d'une ville portuaire; 3) la formule de datation, dans laquelle on cite le roi thrace Rhoimétalkès ainsi qu'un gouverneur de district, correspond bien à Byzance qui fait temporairement partie du royaume de Rhoimétalkès Ir (voir infra). M. Tacheva-Hitova, loc. cit. avance une thèse opposée. Selon elle, l'absence d'éléments du dialecte dorique propre de Byzance ainsi que l'insuffisance de témoignages relatifs au culte de divinités égyptiennes dans cette ville semblent indiquer que l'inscription vient non pas de Byzance mais de quelque autre ville portuaire du royaume de Rhoimétalkès Ir, peut-être de Mésambria ou de Perinthos. Il est en principe impossible d'exclure une telle éventualité, bien que, dans le cas étudié, l'hypothèse de Mésambria paraisse peu probable. En effet, à l'époque où le marbre parut sur le marché des antiquités à Constantinople, Mésambria ne faisait plus partie de l'Empire ottoman mais elle appartenait à la principauté (et, depuis 1908, au royaume) de Bulgarie, ce qui rendait sans doute difficile la sortie de monuments de son territoire vers le marché de Constantinople.

1.             Le culte de divinités égyptiennes à Byzance est aussi attesté par d'autres sources; cf. L. Vidman, Sylloge Inscriptionum Religionis Isiacae et Sarapiacae [= Religionsgeschichtliche Versuche und Vorarbeiten 28], Berlin-New York 1969, no. 129a: stèle funéraire réemployée comme ex-voto offert à Isis; E. Schönert-Geiss, Die Münzprägung von Byzantion II, Kaiserzeit [= Deutsche Akademie der Wissenschaften zu Berlin, Zentralinstitut für Geschichte und Archäologie, Schriftenzur Geschichte und Kultur der Antike 2], Berlin - Amsterdam 1972, no. 1587: monnaie de Byzance du temps de Caracalla à l'effigie d'Isis Euploia, protectrice des traversées maritimes; Polybe IV 39, 6: un temple de Sarapis sur la rive européenne du Bosphore, en face du sanctuaire de Zeus Ourios.

2-3.         Selon toute vraisemblance, il est question ici de Rhoimétalkès Ir, roi des Sapées thraces déjà, semble-t-il, en 31 av. J.-C., puis aussi roi des Odryses et, pendant un temps, des Besses. Rhoimétalkès Ir dut mourir peu avant 14 de ap. J.C. , car ce fut encore à l'empereur Auguste de décider du sort de son royaume. Les monnaies de Byzance et celles de Chalcédoine qui portent les légendes Ba(sileu\j) ÑRoimh(ta/lkhj), Ba(sile/wj) ÑRoimhta/lkou indiquent bien qu'à un moment Rhoimétalkès Ir avait étendu son pouvoir aussi sur ces cités, ce qui expliquerait le fait qu'à Byzance son règne servait de repère à la datation. Sur Rhoimétalkès Ir, voir R. S. Sullivan, ANRW II 7, 1 [1979], p. 198-200.

3-4.         Le terme me/roj désigne le « district », la « région » et mera/rxhj le « gouverneur du district ». Il s'agirait donc ici d'une unité administrative dans le cadre du royaume de Rhoimétalkès Ir; voir L. Robert, Hellenica X [1955], p. 25-26. Cette inscription mise à part, le terme mera/rxhj est attesté une fois encore en rapport avec le royaume de Thrace: SEG XXXIV 701 (inscription honorifique érigée par un mera/rxhj soit pour Kotys IV soit pour Kotys V, seconde moitié du Ir s. av. J.-C.).

6.             L'an 32 doit se rapporter au règne de Rhoimétalkès Ir, ce qui nous permet de dater l'inscription des premières années de notre ère; voir supra, commentaire des lignes 2-3 relatif à la date vraisemblable de ce règne. Wiegand et, après lui, Weißbrodt et Ehrenberg-Jones étaient d'avis que la date annuelle avait été donnée à partir de l'ère d'Actium. Cependant, il est difficile d'admettre l'usage de ce système de datation dans une cité grecque qui ne faisait pas partie (du moins officiellement) de l'état romain mais qui entrait dans le royaume de Rhoimétalkès Ir. En outre, il faut remarquer que l'an 32 aurait été un exemple un peu précipité de l'emploi de l'ère d'Actium, système introduit dans les années vingt du Ir s. av. J.-C. Puisque, sous Auguste, l'ère d'Actium était une véritable nouveauté dont l'usage n'était encore automatique ni dans la mentalité des gens ni dans la pratique bureaucratique, il faudrait plutôt attendre dans le texte une expression introduisant un nombre, comme c'était le cas des plus anciennes applications de ce système, p. ex. dans les inscriptions TAM V 2, 1229 (Apollonia en Lydie, 27 av. J.-C.): touj efikostou= kai\ prw/tou th=j Kai/saroj tou= presbute/rou au)tokra/toroj qeou= nei/khj, teta/rtou de\ th=j Kai/saroj t[ou=] newte/rou au)tokra/toro[j] ou IGR IV 1615 (Philadelpheia en Lydie, 40 ap. J.-C.): touj oÄ kai\ aÄ th=j Kai/saroj nei/khj. De son côté, M. Tacheva-Hitova a proposé une autre solution. Selon elle, le chiffre 32 ne se rapporte pas à un règne ou à une année de telle ou autre ère, mais indique bien la trente-deuxième année d'exercice de la fonction de nauarches de la fête des Ploiaphésia par Philostratos. Partant de ce principe, elle rejette la datation du texte proposée ci-dessus (règne de Rhoimétalkès Ir) et suggère de situer l'inscription à l'époque de Rhoimétalkès III (env. 38-46 ap. J.-C.). Cette interprétation de la dédicace est sans aucune doute erronée, car, si vraiment il y était question de la trente-deuxième nauarchie de Philostratos, le texte aurait été rédigé autrement, à savoir: nauarxh/saj to\ lbÄ.

8-10.       La fête des Ploiafe/sia était celle d'ouverture de la navigation, après la saison d'hiver, célébrée le 5 mars. Elle était consacrée à des divinités égyptiennes, et plus particulièrement à Isis. Un très vaste récit de cette fête célébrée à Kanchréaï, un port de la côte orientale de Corinthe, nous est fourni par Apulée, Metamorphoseis XI 7-17. En dehors de l'inscription étudiée, le terme ploiafe/sia, emploq) pour d)signer la fête en question, est attest) aussi par Apul)e, Metam. XI 17 (... renunciat sermone rituque Graeciensi ploiafe/sia) et par Joh. Lydus (VI s.), De mens. 4. 45 (t$= pro\ tri/wn Nwnw=n Marti/wn ı plou=j th=j )/Isidoj e)petelei=to, ˘n ¶ti kai\ nu=n telou\ntej kalou/si ploiafe/sia); dans les sources latines, cette fête est appelée Isidis navigium (calendrier de Philocalus, l'an 354: Th. Hopfner, Fontes Historiae Religionis Aegyptiacae, Bonn 1922, p. 523) ou, tout simplement, navigium (Menologium Rusticum Colotianum: Hopfner, Fontes, p. 527). Sur la fête des Ploiaphésia voir Vidman, Isis und Sarapis bei den Griechen und Römern, p. 76-78; R. Merkelbach, « Navigium Isidis in Neapel » dans: Scritti in onore di Orsolina Montevecchi, Bologna 1981, p. 217-219; Apuleius of Madauros, The Isis-Book (Metamorphoses, Book XI). Edited with an Introduction, Translation and Commentary by J. Gwyn Griffiths, p. 268, où l'on cite également l'inscription étudiée ici.

8-10.       nauarxh/saj ta\ mega/la ploiafe/sia; il s'agit là de la présidence des cérémonies d'ouverture de la navigation, lesquelles avaient traditionnellement lieu le 5 mars. Cette fonction revient sous différents noms (naua/rxhj, nauba/thj, triera/rxhj, fleronau/thj) dans différentes inscriptions aussi bien grecques que latines de l'époque impériale; voir L. Vidman, Isis und Sarapis bei den Griechen und Römern, p. 86-87. L. Vidman prouve très justement, nous semble-t-il, que dans le cas de notre inscription ainsi que dans quelques autres cas (Vidman, Sylloge, nos. 324 de Kios, 327 de Nicomédie, 315a d'Élaea), la nauarxi/a était une sorte de liturgie municipale sans rapport direct avec l'exercice de la prêtrise des divinités égyptiennes.

[A.Ł.]