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16. ÉPITAPHE POUR MÉNANDRE, POSÉIDONIOS, ASKLÉPIADÈS ET MÉLITINÈ, AVEC UN POÈME POUR POSÉIDONIOS

Département de l'Art antique, inv. 198855.

Découverte vraisemblablement vers 1876 à Kyzikos, propriété du marchand arménien Takvor Aga qui l'avait fait venir, avec d'autres monuments, de Kyzikos à Istanbul; au début de 1878, en dépôt aux douanes d'Istanbul, achetée pour la collection du Lyceum Hosianum à Braunsberg avant 1902 (no. d'inv. 844), depuis 1947 au Musée National de Varsovie.

Marbre blanc. Dalle; h. 203 cm, l. 76 cm, ép. 11 cm; cassée obliquement en deux; la cassure part du coin supérieur droit, traverse le champ à relief, longe la jambe droite du cheval et descend à gauche; le visage du cavalier et l'avant de la tête du cheval endommagés; bords de la dalle ébréchés. En haut de la dalle, dans un petit enfoncement de forme presque carrée (h. 28 cm, l. 27,5 cm), un jeune homme àcheval orienté à droite; derrière lui, un domestique qui tient sa lance. À gauche du champ à relief, une couronne de laurier avec des rubans, en très léger relief. Les quatre parties de l'inscription entourent le champ à relief et la couronne. Les parties I et II disposées en parallèle, en haut, respectivement à gauche et à droite; la partie III de part et d'autre du champ à relief et de la couronne; la partie IV au-dessous du champ à relief et de la couronne. Les parties I, II et IV sont des formules funéraires typiques en prose, la partie III est en vers. Dans la partie III, à gauche, le pentamètre en retrait. L'inscription gravée avec grand soin. Lettres disposées en lignes très régulières. Lettres carrées, apices. H. des lettres: 1,0 - 2,0 cm.

D'après la pierre déposée aux douanes à Istanbul, J. H. Mordtmann, AM 4 (1879),

p. 14-17 avec la copie en majuscules et l'édition du texte intégral (S. Aristarchis, ÑO e)n Kwnstantinoupo/lei ÑEllhniko\j Filologiko\j Su/llogoj, Para/rthma 13 [1880], p. 20-21; non vidimus). D'après la pierre à Braunsberg, W. Weißbrodt, Verzeichnis Braunsberg, Sommer-Semester 1913, p. 5-7, no. 6: l'édition de l'inscription reproduit la disposition originale de l'écriture sur la pierre (Peek, Gr. Vers-Inschr., no. 1923; Peek, Gr. Grabgedichte, no. 447: seule la partie métrique avec une traduction alle-mande; Pfuhl-Möbius, Grabreliefs II, p. 317-318, no. 1301, pl. 192; E. Schwertheim, I.K. 18 [Kyzikos I], 518; M. Cremer, Hellenistisch-römische Grabstelen in nordwestlichen Kleinasien 1, Mysien [= Asia Minor Studien 4], Bonn 1991, p. 136, no. KH 6: texte de l'inscription et p. 58-59: commentaire archéologique; R. Merkelbach, J. Stauber, Steinepigramme aus dem griechischen Osten. 2. Die Nordküste Kleinasiens [Marmarameer und Pontos], München - Leipzig 2001, p. 64-66, no. 08/01/51). D'après la pierre au Musée National de Varsovie, A. Sadurska, RMNW 4 (1959), p. 190-196, no. 6, fig. 5 (toute la plaque) et 6 (champ à relief): texte, traduction polonaise, commentaire archéologique et épigraphique en polonais. D'après la pierre au Musée National de Varsovie, A. Łukaszewicz dans: CSIR-Pologne II 1, p. 56-57, no. 58, pl. 36, avec le commentaire archéologique d'A. Sadurska.

Cf. Anonyme, Arch. Anz. 17 (1902), p. 132 (note que l'inscription est au Lyceum Ho-sianum à Braunsberg). F. W. Hasluck, Cyzicus, Cambridge 1910, p. 283, no. V 184.

K. Michałowski, Sztuka starożytna. Muzeum Narodowe w Warszawie, Warszawa 1955, p. 179 (seulement mentionnée). J. et L. Robert, Bull. épigr. 1974, 575 (sur le nom Kamolhw). E. Griessmair, Das Motiv der mors immatura in den griechischen Grab-inschriften [= Commentationes Aenipontanae 17], Innsbruck 1968, p. 43 (concerne les expressions et les idées contenues dans les deux premiers vers du poème). D. Detschew, Die thrakischen Sprachreste [= Österreichische Akademie der Wissenschaften, Philosophisch-historische Klasse, Schriften der Balkankommission, Linguistische Abteilung 14], Wien 1957, p. 225, s.v. Kamolhj (sur Kamolhj: nom et non pas épithète du défunt). A. Łajtar, ZPE 125 (1999), p. 154, no. 19 (bibliographie).

Ir s. av. J.-C. - Ir s. ap. J.-C., d'après les critères archéologique et paléographique.

I. En haut à gauche

Me/nandre Mena/?

ndrou

Kamolh, w xai=re.

II. En haut à droite, au-dessus du champ a relief

P???

oseidw/nie Mena/ndrou

¥rwj, www xai=re.

III.A. À gauche

paidokomhsame/nh Posidw/nion h( talapenqh/j ≥ndrws' efij )A˝dhn Mo/sxion uÂa fi/lon, e)lpi/daj e)nqeme/nh puri\ kai\ ta/fƒ: h( d' e)pi\ te/knwi

 4

u(chlh\ to\ pa/roj kai\ frone/ousa me/ga

nu=n Ùli/gh kai\ êpaij e)ni\ pe/nqesin. w)= bi/e qnhtw=n êstat', e)ni\ pthn$= kei/mene lupre\ tu/x˙.

Moi=ra lugra\ mh/pw me bi/ou sxedo\n ¶ndoqi ba/nta 8 efij )paraith/touj ∑g' )Ai/dao do/mouj,

pikra\n d' )mfi\ ta/foisin e)qh/kato mhte/ra pe/nqei, kwfa\ li/qoij kwfoi=j da/krua murome/nhn. koufi/zw de\ ta/lainan, o(/son xro/non efij ˆnar ¥kwi

12 h)w\j d')nti\ xara=j da/krua porsu/etai.

III.B. À droite

oÎpote ghqo/sunoj neku/wn ta/foj, ou)d' ı pro\ moi/\rhjÄ qnh/skwn mhtri\ fi/l˙ terpna\ di/dwsin êxhi. [di]pla\ d' )po\ ste/rnwn h)me/ljato pikra\ trofh/wn

16            pe/nqea kai\ stonaxa\j Mo/sxion afinota/th:

h)re/ma kwku/sei par' e)mo\n do/mon, o‡, )po\ mou/nou

leipome/nh te/knou: kei/som' e)gw\ de\ te/frhi.

thluge/t%e)pi\ paidi\ pana/lgea kwku/sasa

20            mh/thr efinodi/hn th/nd' )ne/qhke li/qon,

te/rma d' )neihro\n gh/rwj ‡den: ∑ =a Me/nadro\jÄ

ˆlbioj, ˘j toi/ou prw=toj ¶qnhske te/knou.

IV. En bas au centre, au-dessous de la couronne et du champ à relief

)Asklhpia/dhj )Asklhpia/douı kai\ ÑIeronei/khj,Meliti/nh e( )Asklhpia/dou,4 xai=re.

I.1. nandri Sadurska, Łukaszewicz || 2. kamo/lh Peek, Gr. Vers-Inschr., Pfuhl-Möbius, Cremer, xamo/lh Sadurska

III.11. lire ¥kw || 12. lire prosu/netai || 14. lire êxh || 15. o(/]pla Weißbrodt || 18. e)g' œde Weißbrodt | te/frh Pfuhl-Möbius, lire te/frh || 22. prw=toj = pro/teroj Pfuhl-Möbius IV.1. )Asxlhpia/dhj )Asxlhpia/dou Sadurska, Łukaszewicz (faute d'imprimerie?) || 2. ı xai/ Sadurska (faute d'impimerie?) || 3. MELTTINH Mordtmann, Schwertheim mais, sur la pierre, on lit sans aucun doute MELITINH, seulement le I a le trait transversal à gauche; le lapicide a très vraisemblablement écrit MELT, puis il corrigé le T en en faisant un I pour continuer ensuite correctement; )Asxlhpia/dou Sadurska (faute d'imprimerie?)

I. Ménandre, fils de Ménandre, Kamoles, salut.

II. Poséidônios, fils de Ménandre, héros, salut.

III.1-6. C'est pour Hadès, que l'endeuillée Moschion avait élevé Poséidônios, son fils bien-aimé, jusqu'à l'âge d'homme. Elle a mis ses espoirs dans le feu et dans la tombe. Celle qui était autrefois hautaine et fière à cause de son fils est maintenant devenue humble et affligée, n'ayant plus d'enfants. Ô vie incertaine des mortels, fondée sur la fortune fugace et triste!

7-12. Avant même que je ne fusse entré dans la vie d'adulte, le Destin funeste m'a conduit dans la maison de l'inexorable Hadès et il a prosterné la mère pleine d'amertume devant la tombe où elle verse ses larmes silencieuses sur des pierres muettes. Je console la pauvre chaque fois que je m'introduis dans ses rêves nocturnes, mais l'aurore (lui) apporte des larmes au lieu d'allégresse.

13-18. La tombe où reposent les morts n'est jamais joyeuse et celui qui meurt avant son temps ne procure guère de joie à sa mère bien-aimée. Mais Moschion, la très misérable, a poussé deux fois plus d'amers gémissements de douleur propre aux parents. Hélas! Abandonnée par son enfant unique, elle va pleurer silencieusement près de ma maison et moi, je serai ici, étant de la cendre.

19-22. La mère a érigé cette pierre près de la route pour son enfant bien-aimé après l'avoir pleuré dans la plus grande douleur. Les derniers jours de sa vieillesse ont été pleins de souffrance insupportable; heureux vraiment, Ménandre qui est mort avant un tel fils!

IV. Asklepiadès, fils d'Asklepiadès, nommé Hieroneikès, Melitinè, fille d'Asklepiadès, salut.

Aussi bien la forme du monument (dalle de grandes dimensions) que le texte de l'inscription laissent penser qu'il s'agit d'un titulus d'une sépulture familiale de la nécropole de Kyzikos située à la sortie de la ville (cf. ll. III 19-22). La tombe a été érigée par Moschion à la mort de son fils Poséidônios, mais y ont été également ensevelis le mari de Moschion et le père de Poséidonios - Ménandre et quelques autres personnes dont les liens de parenté avec Ménandre ou avec Moschion sont difficiles à déterminer.

I.2.          Kamolhj est un nom de personne; dans ce cas précis, il désigne le défunt Ménandre en constituant son second nom. Le nom Kamolhj est très rare; en dehors de l'exemple étudié, il est attesté deux fois à Thasos: IG XII 8, 307 et 309 ()Isiklh=j Kamolou) et IG XII 8, 308 et 317 (Qeo/frastoj Kamolou; la même personne très vraisemblablement aussi dans l'inscription SB I 2101: Qe/ofrastoj [K]amolou), à Karamürsel (Preietos) sur la rive méridionale du golfe de Nicomédie: TAM IV 1, 108 ()Apollw/nij )Apollwni/ou t" fidi/%)delf" Kamol%kai\ t$= gunaiki\ au)tou= Terti/#), ainsi qu'à Sarıyar en Bithynie orientale, à proximité de la frontière galate: S. Mitchell, Regional Epigraphic Catalogue of Asia Minor II. The Ankara District. The Inscriptions of North Galatia [= British Institute of Archaeology at Ankara, Monograph 4 = BAR International Series 135], London 1982, p. 137, no. 157 (Mhna= Kamolou xai=re). L'étymologie du nom Kamolhj n'est pas sûre. F. Bechtel, Zeitschr. f. vergl. Sprachf. 45 (1913), p. 58-59, supposait que le nom était issu de l'appellatif thrace dont le sens correspondait au terme prosfilh/j employé à Thasos pour désigner le défunt. De même P. Kretschmer, Einleitung in die Geschichte der griechischen Sprache, Göttingen 1896, p. 239, a opté pour l'étymologie thrace du nom. En revanche, K. Latte, Gnomon 9 (1933), p. 406, note 2 = Kleine Schriften, p. 765, note 8, exprime des doutes quant à l'origine thrace de ce nom. Il reste cependant hors de doute que le nom Kamolhj (et donc évidemment le mot dont le nom est issu) soit d'origine indo-européenne; cf. D. Detschew, loc. cit. Selon S. Mitchell, loc. cit., la liste des occurrences du nom, dont la répartition géographique dessine une ligne à partir de Thasos, le long des côtes méridionales de la mer de Marmara jusqu'à la Bithynie orientale, semble indiquer qu'il s'agit d'un nom appartenant à l'aire culturelle thraco-bithynienne.

III. Le locuteur change deux fois dans le poème. Ainsi, dans la première partie on entend la voix du poète, puis, dans les deux parties médianes, la parole passe au défunt, encore que la phrase initiale de la troisième partie puisse bien venir du poète. Dans la quatrième partie, la voix revient au poète.

1.             paidokome/w est un mot extrêmement rare; le dictionnaire LSJ en cite une seule occurrence dans l'épigramme AP VII 623, 4. On doit comparer flppo-kome/w.

talapenqh/j est une épithète homérique; cf. Od. 5, 222 (qumo/j).

L'expression ≥ndrws' efij )Ai/dhn est très proche de celle qui est employée dans l'épitaphe de Philon, originaire de Samos, cf. supra, no. 14, ll. 3-4: e)g de\ loxei/aj [»]di=na stugerh\n efij )Ai/dan ¶teken (commentaire).

On mentionne rarement dans les inscriptions funéraires (les épitaphes métriques y comprises) le fait que le défunt a été incinéré. En voici néanmoins quelques exemples: Peek, Gr. Vers-Inschr., no. 1747 (Athènes, V s. av. J.-C.): sarko\j me\n pu=r ˆmmat' )fei/leto th=ide )OnhsoÇ j Ùste/a d' )nqemo/ej xw=roj o(/d' )nf<i\j ¶x>ei; L. Robert, Hellenica II [1946], p. 103-108 = Peek, Gr. Vers-Inschr., no. 1749 (Nikaia, Ir-II s. ap. J.-C.): pu=r me\n sa/rkaj ¶kause, ta\ d' Ùste/a e)nqa/d' ¶nestin.

5-6.Cf. Peek, Gr. Vers-Inschr., no. 789, 5-6: êstatoj ˆntwj qnhtw=n e)sti\ bi/oj kai\ bra/xuj ou)d' êponoj. Les sentiments liés à la fugacité de la vie humaine trouvent souvent leur expression dans la poésie funéraire; à ce sujet voir le commentaire de Vérilhac, PAIDES AVROI II, § 106.

10.           Cf. Peek, Gr. Vers-Inschr. 1265, ll. 7-8 (de Panticapée): o ka/lpin kru/<p>tei gh= Bospor?i\j ou)de\ le/lhqen gumna/sion kwfoi=j da/krusi muro/menon.

15-16.Cf. p.ex. Peek, Gr. Vers-Inschr., no. 1118, l. 4: pe/nqouj kai\ stonaxh=j e)tra/fhn xa/rin.

IV.3.        Sur le nom Meliti/nh = « douce comme le miel » voir L. Robert, Noms indigènes, p. 230-232. Mis à part l'inscription étudiée, le nom Mélitiné revient une fois encore à Kyzikos, I.K. 18 [Kyzikos I], 469: Meliti/nh )Aleja/ndrou; cf. aussi op. cit., 239: Meli=tij.

 [A.Ł.]


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