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  22. ÉPITAPHE DE GLYKÔNIS

Département de l'Art antique, inv. 198813.

D'après Th. Wiegand, qui cite A. O. van Lennep, vice-consul de Hollande à Smyrne, la pierre fut mise au jour à Uşak, un centre urbain moderne à env. 150 km à l'est de Smyrne (Izmir), sur le site de l'ancienne Théménothyrai, à la limite entre la Phrygie et la Lydie. Achetée pour la collection du Lyceum Hosianum à Braunsberg avant 1913 (no. d'inv. 920a), depuis 1947 au Musée National de Varsovie.

Marbre blanc à grain fin. Stèle trapézoïdale à fût brut, avec fronton et grands acrotères; h. 61,5 cm, l. 31,5 cm, ép. 7,5 cm; conservée presque intacte: acrotère central brisé; surface légèrement endommagée; petites ébréchures sur les bords. Feuilles de lierre aux coins du fronton, petit cercle au sommet; acrotères décorés de deux lignes gravées. Au-dessous du fronton, entouré de l'inscription, un bas-relief travaillé d'une façon très sommaire représente un personnage vêtu d'une robe longue, une grappe de raisin dans la main droite, un oiseau contre la poitrine dans la main gauche, les pieds sur un petit listel (la petite Glykônis). L'inscription occupe toute la surface disponible de la stèle; les deux premières lignes sont gravées à l'intérieur du fronton, la troisième sur le listel, la quatrième sur la moulure du fronton. Lettres carrées, apices, abréviations signalées par la superposition des lettres (« mh») ou par la position plus élevée d'une lettre (« zh», « et»), points de séparation. Alpha à barre brisée, trait horizontal du thêta ne touche pas à la panse, dans le nu, le trait médian ne touche pas aux extrémités des hastes, trait vertical de l'upsilon barré d'un petit trait horizontal, oméga en forme d'arceau avec un trait horizontal au-dessous. H. des lettres 1,1 - 2,0 cm; h. moyenne d'interligne: 0,6. Sur le fût l'inscription moderne à l'encre noire: « Beihilfe der Provinz ».

D'après la pierre (?), accompagné d'une information sur le lieu de trouvaille: Uşak (anc. Théménothyrai), Th. Wiegand, AM 30 (1905), p. 326-328 (G. Lafaye, IGR IV, 621). D'après la pierre à Braunsberg, W. Weißbrodt, Verzeichnis Braunsberg, Sommer-Semester 1913, p. 9, no. 1. D'après la pierre au Musée National de Varsovie, J. Kubińska, « Une stèle funéraire grecque d'Asie Mineure au Musée National de Varsovie », RMNW 14 (1970), p. 161-166. D'après la pierre au Musée National de Varsovie, J. Kubińska avec commentaire archéologique d'A. Sadurska dans: CSIR-Pologne II 1, p. 54-55, no. 56, pl. 35.

Cf. L. Robert, Hellenica XI-XII [1960], p. 579, note 5 (identifie l'inscription au Musée National de Varsovie). O. Haas, Die phrygischen Sprachdenkmäler [= Linguistica balkanica 10], Sofia 1966, p. 42, no. 69 (publié d'après un estampage à Vienne comme inédite et sans répartition, lignes 19-23). J. et L. Robert, Bull. épigr. 1971, 654 (sur la publication de J. Kubińska dans RMNW 14; sur l'objet tenu par le personnage dans la main droite). L. Robert, Rev. num., 6 série 18 (1976), p. 45, note 94 = Op. Min. VI, p. 157 (il cite ll. 19-20 et corrige la lecture dans la l. 19). idem, CRAI 1978, p. 264 = Op. Min. V, p. 720 (sur Hécate). Pfuhl-Möbius, Grabreliefs I, p. 210, no. 794 (commentaire archéologique). L. Robert, Journ. Sav. 1981, p. 21, note 56 = Op. Min. VII, p. 483 (sur Hécate). C. Naour, ZPE 44 (1981), p. 20, note 36 (il cite ll. 19-20 et discute la provenance). idem, Epigr. anatol. 5 (1985), p. 50 (sur la provenance; il cite ll. 19-22). J. Strubbe, ARAI EPITUMBIOI. Imprecations against Desacrators of the Grave in the Greek Epitaphs of Asia Minor. A Catalogue [= I.K. 52], Bonn 1997, p. 148-149, no. 215 (sur l'imprécation). A. Łajtar, ZPE 125 (1999), p. 154-155, no. 25 (bibliographie).

300 ap. J.-C. (l'an 384 d'après l'ère de Sylla)

¶touj tpdÄ,mh(no\j) Daisi/ou hiÄ.Au)r(h/lioj) Diogeniano\j Dioge/nouj

 4             ke\ Au)r(hli/aj) Siko/ndaj

ueflo\j e)kdhmh/saj

ÑR??

w/mhn kai\ Suri/aj kai\ Au)r(hli/a) Tro

8              fi/mh Glu/kwnoj

zw=ntej t$= qugatri\?

ke\ au(toi=j to\ h(r"on

kateskeu/asan. e)tei/mh

12            san kai\ ofl )delfoi\ th\n Glukw

ni/da: Au)r(hli/a) )Ioulianh\ kai\ Au)r(h/lioj) Tatia

no\j kai\ ı pa/trwn )Agaqo/pouj

ke\ h( pa/tra )Ioulianh\ ke\ ı )delfi

16dh=j Deioge/nhj ke\ h( )delfi/dis-sa h( Eu)gnwmoni\j ke\ ofl loipoi\ sungenei=j mnh/mhj xa/rin zh/(sasan) e( ¶t(h) e( d e( e‡{h} tij de\ parae(amar-th/si t$= sth/l˙ e( µ t" h(r-e(%ßj-

20je(ei th\n ou)ranei/an ÑEka/thnkexolwme/nhn e( tau=ta e( xe/rete/moi parodei=tai.

h              ht

2. m || 3. aurÄ || 4. aurÄ || 7. aurÄ || 13. aurÄ (deux fois) || 18. z e

1. TND Wiegand || 2. Daisi/ou H Wiegand || 4. lire kai/ | Seko/ndaj Wiegand || 5. lire uflo\j || 6. [ÑR]w/mhn Kubińska || 6-7. Sur[i/]aj Wiegand, Weißbrodt, Kubińska || 9. qugatr[i/] Wiegand,Weißbrodt || 10. lire kai\ e(autoi=j || 15. pa/ra Kubińska, CSIR-Pologne II 1 (faute d'imprimerie) | lire kai/ deux fois || 16. lire Dioge/nhj kai/ || 16-17. )delfi/disa Wiegand || 17. lire kai/ || 18. e‡ (et)ij Weißbrodt || 18-19. paramarth/si (so) Wiegand, Weißbrodt, lire paramarth/s˙ || 19-20. ßj|zei (so) Wiegand, Weißbrodt, lire ßjei || 20. lire ou)rani/an || 21. kexwlome/nhn Kubińska | lire xai/rete

L'an 384, 18 jour du mois Daisios. Aurélios Diogénianos fils de Diogénès et d'Aurélia Secunda, qui a voyagé à Rome et dans les Syries, et Aurélia Trophimé fille de Glykon de leur vivant ont construit l'hérôon pour leur fille et pour eux-mêmes; les frères ont aussi honoré Glykonis: Aurélia Iouliané et Aurélios Tatianos et l'oncle Agathopous et la tante Iouliané et le neveu Diogénès et la nièce Eugnomonis et les autres parents en souvenir de celle qui a vécu quatre ans. Si quelqu'un commet une faute envers la stèle ou l'hérôon, il aura affaire à la céleste Hécate courroucée. Telle est la vie. Salut passants.

Il est impossible de déterminer avec exactitude la provenance de la stèle funéraire de Glyconis. Th. Wiegand, loc. cit., rapporte que le monument, au sujet duquel les informations lui avaient été fournies par A. O. van Lenepp, vice-consul de Hollande à Smyrne (sur la famille hollandaise van Lenepp résidant à Smyrne et engagée dans le commerce des antiquités, cf. L. Robert, Hellenica XI-XII [1960], p. 215), fut découvert à Uşak, un centre urbain moderne à env. 150 Km à l'est de Smyrne (Izmir), sur la ligne de chemin de fer Izmir-Alaşehir-Afyon. Uşak est construit sur les ruines d'une ville antique qui, avec grande vraisemblance, pourrait être identifiée à Téménothyrai; cf. P. Hermann, TAM V 1, 1; M. Waelkens, Die kleinasiatischen Türsteine, Mainz 1986, p. 143-144; N. Mersich [in:] K. Belke, N. Mersich, Phrygien und Pisidien [= Tabula Imperii Byzantini 7], p. 406. Cependant, sur le marché des antiquités d'Uşak apparaissent aussi de nombreux objets provenant d'autres régions d'Asie Mineure, quelquefois très éloignées, entre autres de Kadoi, de Kotiaeion-Appia, d'Acmonia (en premier lieu), de Lyendos (territoire de Bagis), de Sebasté, etc.; cf. Th. Drew-Bear, Chiron 9 (1979), p. 284, note 44. À la lumière de ce fait, l'information transmise à Wiegand par van Lenepp ne fournit aucun indice décisif concernant l'origine du monument. Les analogues (archéologiques et épigraphiques) les plus proches de l'épitaphe de Glyconis (voir infra) proviennent du nord-est de la Lydie (surtout de la région Silandos-Maionia-Collyda) et des régions avoisinantes de la Phrygie (région de Téménothyrai et d'Acmonia) habitées par une population mixte, en partie phrygienne en partie lydienne, et c'est très vraisemblablement là qu'il faudrait chercher le lieu d'origine du monument étudié. L'hypothèse avancée par C. Naour, selon laquelle l'épitaphe proviendrait de Lyendos (aujourd'hui Aktah) sur le territoire de Bagis, est possible mais peu vraisemblable, car à Bagis on utilisait l'ère d'Actium, ce qui donnerait à notre inscription une date sensiblement trop basse: 353/354 ap. J.-C.

La composition de la stèle (texte inscrit autour du personnage central) manifeste une étroite ressemblance avec la stèle funéraire TAM V 1, 131, pl. XI (originaire de Saïttai dans le nord-est de la Lydie). Une composition identique caractérise aussi la stèle votive de 238/9 dédiée à Zeus Oreites et Men Axiottenos, conservée actuellement au Musée d'Uşak mais provenant des environs du mont Toma au nord de Collyda (Gölde) en Lydie du nord-est: G. Petzl, Die Beichtinschriften Westkleinasiens [= Epigr. Anatol. 22 (1994)],

p. 11-14, no. 6. Sur les stèles funéraires du type Saïttai avec représentation du défunt, cf., pour les généralités, R. A. Tybout, ZPE 97 (1993), p. 222, note 7 (bibliographie).

Les termes employés dans l'inscription pour désigner les liens de parenté sont typiques du nord-est de la Lydie (bassin du moyen Hermos) et de l'ouest phrygien voisin. Notons en particulier pa/trwn (variante pa/trwj) pour oncle (cf. TAM V 1, 764, 786), pa/tra (patrei/a) pour tante (cf. TAM V 1, 477, 706, 714, 765, 769), édelfidh=w pour neveu (nombreuses occurrences attestées dans TAM V 1) et )delfi/dissa pour nièce. Le dernier de ce termes n'est attesté qu'une seule fois (en dehors de l'inscription étudiée), notamment dans l'inscription funéraire d'Alkios, datée de 89/90 ap. J.-C., découverte dans le village de Karyağdi, sur le territoire de l'antique Saïttai: SEG XL 1067.

5-7.Quant au pluriel Suri/aj, il s'agit vraisemblablement des provinces de l'Empire romain qui portaient dans la nomenclature officielle le nom de Syrie, soit, après Septime Sévère, Coelesyria et Syria Phoenice ou, après la réforme administrative de Dioclétien, Syria I (Antiochène) et Syria II (Apamène). Comme les Anciens tiraient habituellement beaucoup de fierté de leurs voyages dans les pays étrangers, il n'est pas étonnant de constater que ce motif revient fréquemment dans les épigrammes funéraires, cf. L. Robert, Hellenica II [1946], p. 107-108; idem, Hellenica IV [1948], p. 47, note 8; idem, Hellenica X [1955], p. 281; M. Nocita, « Il tema del viaggio negli epigrammi funerari greci » dans: XI Congresso Internazionale di Epigrafia Greca e Latina, Roma 1999), p. 807-816. Il reste cependant relativement rare dans les textes en prose. Par ailleurs, il est impossible de savoir quels étaient les motifs des visites d'Aurelius Diogénianos à Rome et dans les deux Syries. Peut-être était-il homme d'affaires, comme un certain Myzrinos (?), dont l'inscription funéraire découverte dans les environs de Cyzique, I.K. 18 [Kyzikos I], 369, contient toute une liste de voyages qu'il avait effectués: e)pidedh/?[mhka ? - - - ] )Itali/an ÑRw/mhn idÄ, Ge[rmani/an] bÄ, e)pi\ th\n ˆxqhn dÄ, Dalma[ti/a]n )Istri/an Liburni/an bÄ, )Alejandrei/an th\n kat' A‡gupton bÄ. Les visites dans des pays étrangers sont également mentionnées par Timothéos fils de Philippe, auteur d'une dédicace à Zeus Bronton mise au jour à Dorylaion en Phrygie, SEG XLIV 1042: ... Teimo/qeoj Fili/ppou fij Daki/an ke\ )Alejandri/an ∑lqa fij th\n patri/da ktl.

11-12. e)tei/mhsan ofl dei=nej to\n dei=na revient régulièrement dans les inscriptions funéraires du nord-est lydien et des régions phrygiennes avoisinantes; cf. p.ex. L. Robert, Rev. Phil. 13 (65) (1939), p. 191 = Op. Min. II, p. 1344; J. et L. Robert, Hellenica VI [1948], p. 92; P. Hermann, K. Z. Polatkan, Anz. Akad. Wien 98 (1961), p. 120; Cl. Brixhe, Bull. épigr. 1991, 508; R. A. Tybout, ZPE 97 (1993), p. 221, note 2 (bibliographie la plus complète de la question).

14.           Sur le nom )Agaqo/pouj - « Qui a bon pied » et sa fonction magique, voir L. Robert, Études Anatoliennes, p. 143, note 1 et idem, Rev. Ét. Anc. 62 (1960), p. 360 = Op. Min. II, p. 876. Bien que répandu sur tout le territoire de l'Empire romain, ce nom jouissait d'une popularité toute particulière en Afrique (dans sa transcription latine Agathopus), sans aucun doute à cause de la présence d'un nom analogue - Namphamo - dans l'onomastique punique. Saint Augustin explique ainsi sa signification: boni pedis homo, id est cuius adventus adfert aliquid felicitatis. Sur le nom Namphamo - Agathopus voir aussi H. Solin, « Il nome Agathopus è nato in Africa? » dans: A. Mastino (ed.) L'Africa Romana. Atti del VII Convegno di Studi, Sassari, 15-17 dicembre 1989, Sassari 1990,

p. 177-186, particulièrement p. 181-183.

19-20.La présence du point qui sépare les deux alphas dans le mot PARAe(AMAR-THSI indique qu'il s'agit d'une notation voulue et non pas d'une dittographie commise par le rédacteur de l'inscription ou par le lapicide et suggère la prononciation paraèmarth/si. Deux autres voyelles identiques sont séparées par un point aussi dans le mot h(r"ƒ, à la ligne 20. Un phénomène analogue est observé dans quelques inscriptions provenant, pour la plupart, du nord-est de la Lydie; cf. p.ex. SEG XXXVII 1000, l. 9: ENe(NEA, l. 15: ANESe(STHSEN.

Pour le verbe paramarta/nein et les verbes apparentés, cf. P. Herrmann, K. Z. Polatkan, Das Testament des Epikrates und andere neue Inschriften aus dem Museum von Manisa [= Sitzungsberichte der Österreichischen Akademie der Wissenschaften 265.1], Wien 1969, p. 54 avec note 117; L. Robert, Rev. num. 6 série 18 (1976), p. 45, note 94 = Op. Min. VI, p. 157, où figure également notre inscription. L'emploi de ce verbe est typique de la Lydie du nord-est, région Maionia-Silandos, et des régions phrygiennes avoisinantes.

20-22.Sur l'expression ßjei to\n qeo\n kexolwme/non, très caractéristique des imprécations funéraires de Lydie et de Phrygie, voir L. Robert, Ville d'Asie Mineure2, Paris 1962, p. 331, note 1; idem, « Malédictions funéraires grecques », CRAI 1978, p. 264 = Op. Min. V, p. 720, où l'inscription de la stèle de Glykônis est citée parmi les malédictions phrygiennes. Les formules les plus proches de la malédiction employée dans le texte en question se retrouvent dans les documents venant du nord-est de la Lydie; cf. les exemples recueillis par Strubbe, op. cit., p. 296. Rare comme gardienne de la malédiction funéraire en Lydie, Hécate apparaît souvent dans ce rôle en Phrygie; cf. Strubbe, op. cit., p. 149.

Sur tau=ta elliptique, cf. la bibliographie recueillie par L. Robert, Hellenica XI-XII [1960], p. 426, note 5; idem, Hellenica XIII [1965], p. 186, p. 272-273.

P.S. Les personnes mentionnées dans notre inscription apparaissent également dans une autre épitaphe publiée récemment, provenant probablement du nord-est de la Lydie et datée de 296 ap. J.-C.; cf. G. Petzl, Epigr. Anatol. 34 (2002), p. 99-102. Les deux épitaphes concernent la même famille: le couple Aurélios Diogénès et Aurélia Sécunda et leurs enfants, parmi lesquels la personne la plus éminente fut Aurélios Diogénianos, père de Glykônis de notre inscription; cf. A. Łajtar, G. Petzl, « Eine lydische Familie aus der zweiten Hälfte des 3. Jh. n.Chr.», Epigr. Anatol. 36 (sous presse).

 [A.Ł.]


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