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101. STÈLE GRECQUE DE FONDATION DE LA CATHÉDRALE DE FARAS

Département d'Art de l'Orient chrétien, inv. 234848.

Trouvée par la mission polonaise à Faras pendant les travaux de la campagne 1962/3. La pierre était encastrée dans le mur ouest d'un bâtiment à caractère administratif (palais épiscopal ?), voisin de la cathédrale au sud-est, à proximité de l'angle nord-ouest du bâtiment. Du côté opposé de l'angle, le mur nord portait une inscription copte de fondation.

Grès gris. Stèle quadrangulaire se rétrécissant légèrement en haut du côté droit; h. 77 cm, l. 51 cm, ép. 27 cm. Mis à part de petites ébréchures en surface, conservée intacte; en haut de la pierre deux encoches profondes en forme de trapèze servant à fixer la stèle sur le mur. Inscription gravée dans un champ en creux aux dimensions: h. 59,5 cm, l. 37 - 40,5 cm. La limite gauche et la limite supérieure du champ épigraphique sont parallèles aux bords de la stèle, alors que sa limite droite, au bas, se rapproche du bord de la stèle; au bas de la pierre, le champ épigraphique est ouvert. Gravure profonde mais peu soignée. Lettres lunaires. Nombreuses abréviations, nomina sacra, cryptogramme numérique qq pour )mh/n, signes de séparation (voir apparat paléographique). Traces de peinture rouge au fond des lettres. H. des lettres: 1,5 - 2,5 cm.

S. Jakobielski, « Grecka inskrypcja fundacyjna katedry w Faras » (« Inscription grecque de fondation de la Cathédrale de Faras »), RMNW 10 (1966), p. 99-106: transcription en majuscules, traduction polonaise. D'après la pierre au Musée National de Varsovie, Kubińska, Faras IV, p. 14-19, no. 1, fig. 1.

Cf. K. Michałowski, Kush 12 (1963), pl. XXXIX b (photographie). idem, Faras. Die Kathedrale aus dem Wüstensand, Einsiedeln-Zürich-Köln 1967, p. 65-67 (discussion).

S. Jakobielski, Klio 51 (1969), p. 505, phot. 2. idem, Faras III, p. 35-51 (publication exhaustive de l'inscription copte de fondation de la cathédrale de Faras à l'occasion de laquelle on cite souvent l'inscription grecque de fondation). A. Łajtar, ZPE 125 (1999), p. 162, no. 117 (bibliographie). Faras. Die Kathedrale aus dem Wüstensand. Eine Ausstellung des Kunsthistorischen Museums Wien und des Nationalmuseums in Warschau, hrsg. von W. Seipel, Kunsthistorisches Museum 23. Mai bis 15. September 2002, p. 8 (photographie), p. 99-100, no. 31 avec une photographie à la page 101.

Entre le 1r juillet 707 et le 28 août 707, très vraisemblablement vers la fin de cette période.

€ e)n o)no/mati th=j ègi/aj zwo

poioË k(ai\) o(moousi/ou tria/doj p(at)r(o\)j

k(ai\) u(flo)Ë k(ai\) ègi/ou pn(eÊmato)j: e)pi\ i+aÄ th=j basi

4       lei/aj toË qeoste/ptou k(ai\) i)lox(ri/sto)u basile/wj Merkouri/ou k(ai\) eÈkle(esta/tou) kai\ sofot(a/tou) Ma/rkou i)llou(stri/ou) k(ai\) e)pa/rx(ou) die/pontoj ta\ basileika\ k(ai\) e)pinemh/(sewj) i)nd(ikti/wnoj) jÄ

8       énane/wsen k(ai\) e)/kthsen to\n septo\n to/po(n) th=j kaqol(ikh=j) kai\ épostol<i>k(h=j) toË q(eo)Ë e)kklh(si/aj) o( ègiw/t(atoj) h(mw=n p(at)h\r êbba PaËloj: o( q(eo\)j o( pantokra/twr o( poih/saj to\n oÈ(ra)no\(n)

12      e)n sune/sei k(ai\) qemeliw/saj th\n gh=n e)pi\ th\n ésfa/leian aÈth=j, o( kti/sthj k(ai\) dhmiourgo\j tw=n èpa/ntwn, e)/pide k(ai\) e)pi\ to\n proeirhme/non ègiw/t(aton) êndra

16      êbba PaËl[o]n e)n t%= kra/tei th=j i)sxÊoj sou qarrh/santa kai\ to\ kti/sma toËto énegei=ra(i) qelh/santa k(ai\) qemeli/wson aÈto\ e)pi\ th\n sterea\n pe/tran ∂n k(a)t(a\) th\n sh\n êfqar

20     ton fwnh\n oÈk ênemoj oÈx Ïdwr oÈx ßtero/n ti katabla/cai e)nisxÊsei k(ai\) ei)j plh/rwsin aÈto\ éxqh=nai k(ai\) tw=n oi)kei/wn po/nwn épolËsai aÈto\n eÈdo/khson kai\

24 ei)j makro\n gh=raj katanth/santa xa/riti k(ai\) i)lan(qrwp)i/# toË k(uri/o)u h(m(w=n) ÉI(hso)Ë X(risto)Ë, (émh/n) : e)/touj tw=n xro/nwn Dioklht(ianoË) ukgÄ. €

---    - ux

2. k/ pr! ...... 3. k/ uu k/ pn! ...... 4. k/ i)loxu ...... 5. k/ eukle ...... 6. !ofot i+llo k/ epar h--t --- ...... 7. k/ epinem ...... 8. k/ topØo ...... 9. kaqol/ k/ apo!tolik/ qu ekklh ...... 10. agiw phr  ...... ------tt 11. q! ouno ...... 12. k/ ...... 14. k/ ...... 15. k/ agiw ...... 16. i+!xuo! ...... 17. k/ ...... 19. k ...... 21. eni+!xu!ei ------------t k/ ...... 22. axqhnai+ k/ ...... 25. k/ i)lania  ku iu xu  qq ...... 26. dioklh 2. o(mousi/ou Kubińska || 4. qeose/ptou Kubińska || 5. eu)kle(sta/tou) Kubińska || 6. lire sofwta/tou | ILLO(o)U(striou) Jakobielski || 7. lire basilika\ || 8. lire )nene/wsen (voir commentaire) | lire e)/ktisen | TOPON Jakobielski || 9. )postolik(h=j) Kubińska || 11. Jakobielski omet l'article devant q(eo\)j, o( qeo\j Kubińska || 14. kai\ Kubińska | EPIDH Jakobielski || 17. QARRESANTA Jakobielski | kai\ Kubińska|| 20. oo(/x u)/dwr Kubińska(faute d'impression?); « x» dans oux a été très vraisemblablement corrigé à partir du « k» primitif || 22. AXQENAI Jakobielski || 25. kai\ Kubińska

Au nom de la Sainte Trinité, génératrice de vie et consubstantielle, du

Père, du Fils, et du Saint Esprit.

Dans (l'année) 11 du règne du roi Merkourios, couronné par Dieu et aimant le Christ, quand le très célèbre et le très sage Markos, illustre et éparque, dirigeait les affaires du royaume dans l'indiction 6, notre très saint père abba Paulos a renouvelé et a fondé ce saint lieu de l'église de Dieu, catholique et apostolique.

Dieu Tout-Puissant, qui dans ta sagesse as créé le ciel et établi la terre sur des fondements solides, fondateur et créateur de toutes choses, jette les yeux aussi sur l'homme dont le nom est mentionné ci-dessus, le très saint abba Paulos, qui a eu confiance dans la force de ta puissance et a voulu construire cet édifice et rendu plus solides ses fondements sur la roche ferme que, conformément à ta parole incorruptible, n'auront la force d'endommager ni le vent, ni l'eau, ni rien d'autre, et permets que cet édifice puisse parvenir à son achèvement et que lui-même (c'est-à-dire l'évêque Paulos) profite de ses peines parvenu à une vieillesse avancée par la grâce et la bonté de notre Seigneur Jésus Christ, amen.

L'année de l'ère de Dioclétien 423.

La présente inscription grecque de fondation de la cathédrale de Faras a son équivalent copte (actuellement au Musée Soudanais à Khartoum). À l'origine, les deux inscriptions constituaient un tout ou plutôt se complétaient, ce dont témoigne leur exposition primitive (voir supra). Pour l'inscription copte de fondation de la cathédrale de Faras voir S. Jakobielski, Faras III, p. 35-51; sa nouvelle publication est en cours de préparation par J. van der Vliet dans le cadre des travaux sur le catalogue des inscriptions grecques et coptes du Musée Soudanais à Khartoum.

Selon les archéologues polonais qui ont découvert Faras (voir les travaux de K. Michałowski et de S. Jakobielski cités dans le lemme bibliographique), les deux inscriptions semblent commémorer la construction d'une église monumentale qui, sous l'invocation de la Vierge Marie, a tenu lieu d'église cathédrale de Pachoras (Faras) du milieu du VIII à la fin du XII siècle. Le choix des autorités ecclésiastiques de placer ces inscriptions non pas à l'intérieur de l'église mais dans un édifice voisin se laisserait sans doute expliquer par leur volonté de mieux les exposer à la vue. Cette conception a été récemment mise en question par J. van der Vliet, «The Church of the Twelve Apostles: The Earliest Cathedral of Faras?», Orientalia 68 (1999), p. 84-97. D'après lui, les deux inscriptions de fondation ainsi que quelques autres pièces datées de l'épiscopat de l'évêque Paulos (parmi celles-ci, un linteau avec l'inscription grecque, maintenant au Musée National de Varsovie; voir infra, no. 102) devraient être mises en rapport non pas avec la cathédrale de la Vierge Marie mais avec l'église appelée «église du versant méridional». Celle-ci aurait porté le nom d'église des (Douze) Apôtres et joué le rôle de cathédrale de Pachoras avant que cette fonction ne fût passée à l'église de la Vierge Marie. Dans le présent ouvrage, nous gardons la conception proposée par les archéologues qui ont fouillé le site.

L'inscription grecque de fondation de la cathédrale de Faras comporte quatre parties:

1) invocation adressée à la Sainte Trinité (lignes 1-3)

2) date d'érection de l'inscription qui paraît correspondre au terme des travaux de construction et/ou de consécration de l'édifice (lignes 3-10)

3) pière s'adressant à Dieu l'implorant de bénir l'édifice nouvellement construit et de le préserver pendant de longues années pour la gloirede l'Église et le service des fidèles (lignes 11-25); cette partie de l'inscription contient de nombreuses citations et réminiscences bibliques

4) date annuelle d'érection de l'inscription donnée selon un autre calendrier que la date de la partie (2) (ligne 26).

L'inscription copte de fondation présente de nombreuses similitudes avec l'inscription grecque tant au point de vue formel que substantiel, même si les deux textes diffèrent par quelques détails. Tout comme son pendant grec, l'inscription copte se compose de quatre parties. Les parties

(1) et (2) de l'inscription copte correspondent exactement aux parties respectives de l'inscription grecque. En outre, l'inscription copte se sert abondamment de mots empruntés au grec employés à des endroits respectifs du texte grec (o(moou/sion, paneu/fhmoj, eu)klee/statoj, i)llou/strioj). Compte tenu de cette observation on peut supposer que, pour la partie (1) et (2), la version grecque était antérieure à la version copte. La partie (3) du texte copte présente le même caractère que la partie correspondante de l'inscription grecque mais, dans les détails (choix de citations de l'Écriture, ordre des expressions), les deux inscriptions diffèrent quelque peu. La formule de datation selon l'ère de Dioclétien qui forme la partie (4) du texte grec se retrouve dans la partie (2) de l'inscription copte. À sa place figure l'indication du jour d'érection de l'inscription.

1-3.Pour l'invocation à la Trinité voir R. S. Bagnall, K. A. Worp, « Christian invocations in the papyri », CdÉ 56 (1981), p. 112-133, particulièrement p. 120, 122 (liste des textes recensés, mais notre inscription n'y figure pas) et 130 (commentaire). L'invocation à la Sainte Trinité fut introduite en Égypte comme élément obligatoire des textes officiels en 602, pendant la révolte de Phôcas, pour remplacer l'invocation à Jésus Christ en usage depuis le temps de Maurice. Après l'échec de la révolte de Phocas, sous Héraclius, en Basse Égypte on rétablit l'invocation à Jésus Christ, alors qu'en Haute Égypte on garda celle à la Sainte Trinité. Bagnall et Worp distinguent quelques variantes de cette invocation. L'invocation de l'inscription de fondation de la cathédrale de Faras (les deux versions: grecque et copte) représente la variante 2E, attestée de 614 à 790 dans l'Hermopolite, l'Apollinopolite et à Thèbes (Djêmé) où elle est particulièrement fréquente. La présence de l'invocation à Dieu au début de l'inscription de fondation de la cathédrale de Faras est fort significative. Elle indique en effet qu'il s'agit d'un texte officiel, en vigueur au sens juridique du terme, conforme aux règles de la diplomatique byzantine. Le type d'invocation atteste l'existence de liens très proches avec la Haute Égypte. Cette inscription mise à part, les invocations à Dieu dans les textes nubiens revêtent toujours la forme suivante: e)n o)no/mati tou= patro\j kai\ tou= uflou= kai\ tou= a(gi/ou pneu/matoj.

3-5.L'indication de l'année de règne du souverain revêt la forme identique dans l'inscription copte de fondation de la cathédrale de Faras (ll. 2-4). En dehors des deux inscriptions de Faras, pour ce qui est de la Nubie chrétienne, la date régnale apparaît uniquement dans l'inscription commémorant la fondation de l'église de Tafah, événement qui date aussi du règne de Merkourios; sur cette inscription cf. J. Maspero, ASAE 10 (1910), p. 17-20; voir aussi infra. Il s'agit là sans doute de l'influence byzantine. En effet, la novelle 47, promulguée à Constantinople le 31 août 537, ordonnait de mentionner dans toutes sortes de textes, indépendamment d'autres systèmes de datation, l'année de règne du monarque au pouvoir. Cette loi n'a laissé que peu de traces dans les inscriptions provenant de l'Empire romain d'Orient, sinon dans les dédicaces et les épitaphes d'ecclésiastiques et de hauts fonctionnaires d'État, datées des années 538-619/20. L'usage (ou l'obligation) de mentionner l'année de règne du souverain dans les textes officiels a dû parvenir en Nubie au moment de la christianisation du pays sous Justinien, auteur de la novelle 47. Comme en témoignent les inscriptions ici étudiées qui datent du temps de Merkourios, cette pratique resta en usage plus longtemps en Nubie qu'à Byzance même. Pour la novelle 47 et les traces qu'elle a laissées dans les inscriptions grecques cf. D. Feissel, « La réforme chronologique de 537 et son application dans l'épigraphie grecque: années de règne et dates consulaires de Justinien à Héraclius», Ktema 18 (1993), p. 171-188.

Sur les titres qeo/steptoj et i)lo/xristoj voir G. Rösch, ONOMA BASILEIAS. Studien zum offiziellen Gebrauch der Kaisertitel in spätantiker und frühbyzantinischer Zeit [= Byzantina Vindobonensia 10], Wien 1978, p. 65 (i)lo/xristoj) et 67 (qeo/steptoj). Les deux titres entrent bien dans le répertoire des expressions les plus répandues servant à désigner les empereurs d'Orient, à une différence près, à savoir que qeo/steptoj était employé uniquement pour désigner l'empereur alors que i)lo/xristoj pouvait désigner aussi un haut fonctionnaire d'État. On retrouve ces deux termes presque exclusivement dans les textes rédigés dans un autre contexte que l'administration impériale, surtout dans des formules de datation, quoique i)lo/xristoj apparaisse à quelques reprises comme élément de la titulature officielle. Le titre de i)lo/xristoj fut particulièrement répandu surtout au V-VI siècle. qeo/steptoj, relativement rare à la même époque, connut une grande popularité au VII-VIII siècle et élimina presque entièrement i)lo/xristoj. La titulature du roi de Nubie est très visiblement calquée sur celle de l'empereur d'Orient du VI-VII siècle. qeo/steptoj comme titre du roi de Nubie n'apparaît que dans la présente inscription, alors que i)lo/xristoj se retrouve encore deux fois dans nos sources: dans l'inscription d'un édifice, provenant d'Ikhmindi dans le nord de la Nubie et datée de la fin du VI siècle, où il désigne le roi Tokiltoéton (SEG XVIII 724; SB VIII 10074) et dans une souscription grecque à la lettre copte du roi de Nubie Moïse-Géorgios adressée au patriarche copte datée du 17 septembre 1186, trouvée à Qasr Ibrim (inédite; transcription de la souscription grecque avec la titulature royale donnée par J. M. Plumley dans Études Nubiennes. Colloque de Chantilly, 2-6 Juillet 1975[= Bibliothèque d'Étude 78], Le Caire 1978, p. 238, traduction anglaise de la lettre et de la souscription dans: W. Y. Adams, Qasr Ibrim. The Late Mediaeval Period [= Egypt Exploration Society. Excavation Memoir 59], London 1996, p. 228-229.

Sur le roi de Nubie Merkourios voir U. Monneret de Villard, Storia della Nu-bia Cristiana [= Orientalia Christiana Analecta 118], Roma 1938, p. 78-83; Jakobielski, Faras III, p. 35-36. En dehors des deux inscriptions, grecque et copte, de fondation de la cathédrale de Faras, le même souverain est mentionné aussi dans le texte déjà cité de l'inscription de fondation de l'Église de Tafah, dans le nord de la Nubie, et dans l'Histoire des Patriarches de l'Église alexandrine qui est parvenue à nos jours dans sa version arabe (publication avec traduction anglaise: Patr. Orient. V [1909]; traduction anglaise aussi dans: G. Vantini, Oriental Sources Concerning Nubia, Heidelberg-Warsaw 1975, p. 40-45). Il semble qu'à l'origine le domaine de Merkourios était limité à la Makouria, le royaume central des trois royaumes nubiens qui existaient à cette époque, avec la capitale à Dongola. C'est à lui, selon toute vraisemblance, qu'il faut attribuer l'unification sous une autorité de la Makouria et de la Nobadia, royaume du Nord, avec la capitale à Faras. En tout cas, l'unification de la Nobadia et de la Makouria a dû avoir lieu avant l'érection des inscriptions de fondation de la cathédrale de Faras, lesquelles indiquent sans équivoque l'existence d'institutions caractéristiques du royaume déjà uni (éparque). Le royaume uni de Makouria et de Nobadia subsista jusqu'à l'effondrement de l'État nubien indépendant au XIV siècle. Tout porte à croire que l'unification des deux pays fut suivie d'une unification religieuse; la Makouria qui, jusque là, était melchite se convertit au monophysisme, religion officielle en Nobadia, et entra dans les structures de l'Église copte. C'est le scénario que semble suggérer l'épithète « Nouveau Constantin » employée dans les sources coptes pour désigner le roi Merkourios. L'inscription copte de fondation de la cathédrale de Faras dit que le moment de son érection, pendant les jours épagomènes de l'an 423 de l'ère de Dioclétien (entre le 24 et le 28 août 707 ap. J.-C.), correspondait bien à la onzième année du règne de Merkourios. L'inscription de Tafah fut érigée le 18 Khoiak de l'an 427 de l'ère de Dioclétien (le 14 décembre 710), dans la treizième année du règne de Merkourios. Les données contenues dans les deux inscriptions ne concordent pas. Ces divergences se laissent expliquer de deux façons. 1) Dans l'inscription de Tafah, l'année du règne de Merkourios a été donnée (ou lue) avec une erreur; en réalité, on devrait avoir l'année quatorze, peut-être même quinze, en fonction du dies imperii de Merkourios; 2) Le point de départ du calcul des années de règne est différent pour l'inscription de Tafah et pour les deux inscriptions de Faras; dans le premier cas, le compte débute avec le règne de Merkourios à Dongola, dans l'autre, avec son investiture au royaume uni de Makouria et de Nobadia. En espérant que les études ultérieures apporteront une réponse plus concluante, nous nous limiterons à constater que le règne de Merkourios a commencé vers 696/697.

5-7.En plus du nom du roi, les deux inscriptions de fondation mentionnent dans la formule de datation un autre personnage: l'éparque Markos. Le passage correspondant de l'inscription copte se présente comme suit (Jakobielski, Faras III, p. 41): « while the all praiseworthy (paneu/fhmoj) and most famous (eu)klee/statoj) lord (ku/rioj) Markos, the most noble (i)llou/strioj) and the great eparch (e)/parxoj) administred (dioike/w) the kingdom ». Le terme e)/parxoj, sans aucune autre précision, est équivoque, si bien qu'il est impossible de savoir avec certitude qui était Markos. Il était très vraisemblablement titulaire d'un poste désigné dans les sources plus récentes du terme d' »éparque de Nobadia » ou « éparque des Nobades ». Sur l'éparque de Nobadia voir T. Hägg. Symb. Osl. 75 (1990), p. 159-160; W. Y. Adams, « Nobatia, Eparch of » dans: The Coptic Encyclopedia 6 [1991], p. 1798; idem, Qasr Ibrîm. The Late Mediaeval Period, p. 245-246. La fonction d'éparque de Nobadia a dû être instituée au moment de l'unification de la Makouria et de la Nobadia. L'éparque de Nobadia était sans doute un fonctionnaire promu au rang de vice-roi qui gouvernait, au nom du monarque résidant à Dongola, toute la région nord du royaume uni (l'ancien royaume indépendant de Nobadia). Dans le cadre de ses multiples fonctions, il était chargé de contacts avec le puissant voisin du nord,l'Égypte musulmane, mission d'importance capitale pour le fonctionnement de l'État nubien indépendant. Parmi les arguments qui viennent étayer l'identification de Markos comme éparque de Nobadia il faut évoquer l'importance de cette fonction qui justifie pleinement sa mention, juste après celle du roi, dans la formule de datation mais aussi le fait que Faras était la capitale de la Nobadia, donc le siège de l'éparque. Un sens tout particulier revient dans ce contexte à l'expression die/pwn ta\ basilika/ qui décrit la nature de la fonction de Markos. Le verbe die/pw (dioike/w dans le texte copte) signifie « mener une affaire », « diriger quelque chose », plus particulièrement comme une personne déléguée par une autorité supérieure (roi, empereur), mais aussi « remplacer quelqu'un dans l'exercice d'une fonction ». Markos fut donc délégué par le roi pour superviser les affaires du royaume dans une région, comme son « substitut », ce qui correspond parfaitement à ce que nous savons par ailleurs sur l'éparque de Nobadia. L'expression e)/parxoj die/pwn ta\ basilika/ au lieu de e)/parxoj th=j tw=n Nobadw=n xw/raj (ou quelque chose de semblable) qu'on attendrait à cet endroit peut sans doute s'expliquer par la haute date de l'inscription. En 707, quelques années à peine s'étaient écoulées depuis l'union de la Makouria et la Nobadia. La terminologie qui nous est connue par les sources plus récentes devait être encore in statu nascendi. Compte tenu d'un petit laps de temps qui sépare l'unification des deux pays de la date d'érection des inscriptions de fondation, il y a lieu de penser que Markos fut le premier à exercer la fonction d'éparque de Nobadia.

Dans l'Empire romain d'Orient, les titres d'eu)klee/statoj et de sofw/tatoj étaient des titres d'honneur accordés à des fonctionnaires de rang moyen; cf.

O. Hornickel, Ehren- und Rangprädikate in den Papyrusurkunden. Ein Beitrag zum römischen und Byzantinischen Titelwesen, Dissertation Gießen 1930, p. 13 (eu)klee/statoj) et 32 (sofw/tatoj). Il convient de noter que le titre de sofw/-tatoj était utilisé parallèlement ou, quelquefois, indifféremment avec celui de e)llogimw/tatoj et de logiw/tatoj en guise de titre professionnel par des personnes ayant une formation rhétorique ou juridique. En accordant le titre de sofw/tatoj à l'éparque de Nobadia on cherchait peut-être à mettre en va-leur ses qualités intellectuelles, mais on ne peut pas exclure une autre hypo- thèse, à savoir qu'en Nubie, les titres honorifiques étaient utilisés d'une manière beaucoup plus souple qu'à Byzance. Pour ce qui est du terme i)llou/strioj, sa position dans la phrase indique qu'il n'est pas associé à une fonction particulière mais qu'il marque le statut social très élevé de Markos. Sur la signification du terme i)llou/strioj dans l'Empire romain d'Orient, voir Berger dans: RE IX [1916], col. 1070-1085, s.v. «Illustris».

7.         Le terme e)pine/mhsij = « indiction » n'est pas fréquent dans les inscriptions. De rares attestations sont recueillies par A. Bandy, The Greek Christian Inscriptions of Crete, Athènes 1970, dans le commentaire du no. 39; autres exemples: SEG XXXI 287 (Corinthe); SEG XXXV 256 (Corinthe); SEG XXXI 1554 A 48 et 56 (Qasr el-Hallabet en Arabie); SEG XXVI 872 (Sicile).

Les deux inscriptions de fondation de la cathédrale de Faras rapportent una-nimement que l'événement eut lieu pendant la 6 indiction. Il y est également dit que l'année 423 de l'ère de Dioclétien est en cours. L'inscription copte ajoute à cela la date du jour d'érection de l'inscription: la cinquième journée épagomène. La coïncidence: la 423 année de l'ère de Dioclétien et la cinquième journée épagomène donne, selon notre système de datation, la date du 28 août 707. Or, la sixième indiction du système constantinopolitain ne commençait que le 1r septembre 707, et il est très peu probable que le chiffre de l'indiction ait été donné en avance par une simple erreur. Cette divergence s'expliquera plutôt par le fait qu'il s'agit non pas du système constantinopolitain mais bien du système égyptien qui situait le début de l'année indictionnelle vers le 1r juillet; cf. R. S. Bagnall, K. A. Worp, The Chronological Systems of Byzantine Egypt [= Studia Amstelodamensia ad epigraphicam, ius antiquum et papyrologicam pertinentia 8], Zutphen 1978, p. 17-29. On ignore si le système égyptien était couramment utilisé en Nubie chrétienne ou s'il n'a servi que ponctuellement dans les deux textes étudiés. Le début de la sixième indiction du système égyptien, vers le 1r juillet 707 détermine le terminus post quem pour l'inscription grecque de fondation. Le terminus ante quem est constitué par la date du 28 août 707 (dernier jour de la 423 année de d'ère de Dioclétien). Selon toute vraisemblance, l'inscription grecque de fondation, comme l'inscription copte, a été érigée le 28 août 707.

)nane/wsen se retrouve ici pour )nene/wsen par omission d'augment; voir Gignac, Grammar II, p. 223-224.

o( septo\j to/poj désigne ici une église, au sens architectural du terme, qui fait l'objet de la fondation. Pour to/poj = « église » dans l'Égypte chrétienne voir É. Bernand, ZPE 98 (1993), p. 105. L'expression o( septo\j to/poj pour désigner un édifice de culte chrétien apparaît dans le papyrus SB I 5144, l. 9: tou= a(gi/ou septou= to/pou a)/bba Ku/rou (Apollonopolis Magna, 613-640 ap. J.-C.)

L'expression h( a(gi/a kaqolikh\ kai\ )postolikh\ tou= qeou= e)kklhsi/a apparaît ici au sens général d'Église orthodoxe, par opposition à des sectes hétérodoxes de toute sorte; cf. E. Wipszycka, JJP 24 (1994), p. 202-203.

Pour le titre a)/bba voir T. Derda, E. Wipszycka, « L'emploi des titres abba, apa et papas dans l'Égypte byzantine », JJP 24 (1994), p. 23-56, surtout p. 28-38. Au terme de leurs recherches, Derda et Wipszycka concluent que ce titre ne fut utilisé qu'en milieu monastique pour désigner les personnes tenues en grande estime (à la différence du titre d'a)/pa qui était beaucoup moins solennel et pouvait se rapporter aussi à des laïcs). L'emploi du titre a)/bba pour désigner Paulos (ici et à la l. 16) indique que, avant de devenir l'évêque de Faras, celui-ci était moine. Pour Paulos, évêque de Faras cf. Jakobielski, Faras III, p. 35-51. En dehors des deux inscriptions de fondation de la cathédrale de Faras, le nom de Paulos est encore mentionné sur la liste des évêques de Faras, conservée sous forme d'inscription à la peinture noire dans une niche du mur est de la pièce dite « salle des évêques », dans l'angle sud-est de la cathédrale de Faras (Jakobielski, Faras III, p. 194 [5]), et dans une inscription grecque sur un linteau issu de la cathédrale de Faras (infra, no. 102). Son nom, sous forme de monogramme, figure aussi sur une des clefs de voûte de la cathédrale de Faras (Jakobielski, Faras III, p. 49-50, phot. 4) et dans la « Grotte d'Anachorète » à Faras (Jakobielski, Faras III, p. 50-51).

11-12. Cf. Psaume 135, 5: t%= poih/santi tou\j ou)ranou\j e)n sune/sei.

12-13. Cf. Psaume 103 (104), 5: e)qemeli/wsan th\n gh=n e)pi\ th\n )sfa/leian au)th=j.

a(giw/tatoj (souvent associé à path/r ou à a)/bba) était le titre honorifique attribué à des hauts dignitaires ecclésiastiques; cf. p.ex. Hornickel, Ehren- und Rangprädikate, p. 1. Pour a)/bba, voir supra, commentaire de la ligne 10.

L'expression e)n t%= kra/tei th=j i)sxu/oj sou s'inspire d'un passage du livre de Daniel, version de Théodotion, 4, 30: )pekri/qh o( basileu\j kai\ ei)=pen: ou)x au(/th e)sti\n Babulw\n h( mega/lh, ∂n e)gw\ "kodo/mhsa ei)j oi)=kon basilei/aj e)n t%= kra/tei th=j i)sxu/oj mou ei)j timh\n th=j do/jhj mou; cf. aussi Daniel, version de la Septante, 4, 30: kai\ )pokriqei\j ei)=pen: au(/th e)sti\ Babulw\n h( mega/lh, ∂n e)gw\ "kodo/mhsa, kai\ oi)=koj basilei/aj mou e)n i)sxu/i kra/touj mou klhqh/-setai ei)j timh\n th=j do/jhj mou. Dans l'Ancien Testament, on retrouve une formule similaire chez Isaïe 40, 26: )po\ pollh=j do/jhj kai\ e)n kra/tei i)sxu/oj ou)de/n se e)/laqen. Dans le Nouveau Testament, elle est reprise par Saint Paul, Eph. 6, 10: tou= loipou=, e)ndunamou=sqe e)n kuri/%kai\ e)n t%= kra/tei th=j i)s-xu/oj au)tou=. L'expression e)n t%= kra/tei th=j i)sxu/oj (avec un pronom adéquat) apparaît très souvent dans les textes du haut christianisme, parfois faisant référence directe à Daniel ou à Paul; cf. p.ex. Joh. Damsc., Sacra parallela, PG XCVI, p. 176, l. 48 et Bas., De spiritu sancto 8, 18, 22.

18-21.  Ce passage de l'inscription s'inspire très certainement du récit de Jésus sur l'homme qui a bâti sa maison sur un roc et un autre qui a bâti sa maison sur le sable, que l'on retrouve chez Matthieu 7, 24-27 et chez Luc 6, 47-49. Quant à la formulation, le texte de notre inscription est plus proche de la version de Matthieu.

Le mot )mh/n à la fin de la ligne est écrit au moyen d'un cryptogramme numérique qq. Ce cryptogramme était très répandu dans le monde paléochrétien, ce dont témoigne clairement le passage de st. Iénée, haer. I 16, 1 (de Marcosiis): sic igitur et numeros reliquos in drachma qui sunt novem, in ove vero undecim, perplexos sibimetipsis, XCIX numerum generare: quoniam novies undecim XCIX fiant. Quapropter et Amen hunc habere dicunt numerum. Le cryptogramme qq est particulièrement fréquent dans les papyrus et les inscriptions de la vallée du Nil (d'Égypte et de Nubie). La littérature récente au sujet de ce cryptogramme citée dans P. Hamb. IV 266 (p. 145).

Sur l'ère de Dioclétien, voir R. S. Bagnall, K. A. Worp, Chronological Systems of Byzantine Egypt [= Studia Amstelodamensia ad epigraphicam, ius antiquum et papyrologicam pertinentia 8], Zutphen 1978, p. 43-49; L. S. B. MacCoull, K. A. Worp, « The Era of the Martyrs » dans: M. Capasso, G. M. Savorelli, R. Pintaudi, M. Gigante (éd.) Miscellanea Papyrologica in occasione del bicenntenario dell'edizione della Charta Borgiana [= Papyrologica Florentina 19], Firenze 1990, p. 375-408. iidem, « The Eras of Diocletian and the Martyrs: Addenda & Corrigenda», Analecta Papyrologica 7 (1995), p. 155-164. L'année de l'ère de Dioclétien est habituellement introduite par l'expression )po\ Dioklhtianou=. L'introduction e)/touj tw=n xro/nwn Dioklht(ianou=) est plus rare mais suffisamment bien attestée.

[A.Ł.]


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