106

 

106. ÉPITAPHE D'IGNATIOS, ÉVÊQUE DE FARAS

Département d'Art de l'Orient chrétien, inv. 234647.

Trouvée par la mission polonaise à Faras pendant la campagne de fouilles 1962-63 dans le complexe funéraire des évêques de Faras du VIII/IX siècle dans la cour attenante au mur sud de la cathédrale (pour la situation topographique voir Jakobielski, Faras III, plan II, sur lequel le complexe en question est désigné de la lettre C). L'ensemble comprenait trois sépultures avec celle d'Ignatios au centre. La stèle d'Ignatios fut découverte in situ encastrée dans le mur ouest du mastaba. Numéro d'inventaire de chantier: FA 382/62-63.

Marbre blanc. Dalle rectangulaire; h. 47 cm, l. 40 cm; conservée intacte. La surface de la dalle est divisée au moyen de lignes incisées en quelques champs à l'intérieur desquels sont gravées différentes parties de l'inscription. Les lignes suivent le contour de la plaque et s'entrecroisant aux angles, délimitent le champ plus grand aux dimensions: h. 42 cm, l. 36,4 cm. A l'intérieur de ce champ se trouve un champ concentrique plus petit aux dimensions: h. 35 cm, l. 29 cm. Ce petit champ est divisé en registres par des lignes horizontales tracées à 3,1 cm l'une des l'autre. Le texte (a) est gravé dans les registres du petit champ. Le texte (b) commence au coin supérieur gauche du grand champ et se poursuit selon le sens des aiguilles d'une montre autour du petit champ. Entre la ligne délimitant le grand champ en haut et le bord supérieur de la plaque sont représentées trois croix, tandis qu'entre la ligne délimitant le bas du grand champ et le bord inférieur de la plaque figure un complément de la date contenue dans les lignes 5-6 du texte (a). L'épitaphe d'Ignatios se distingue par une bien singulière paléographie. Les lettres présentent des formes souples et décoratives, avec de nombreuses ligatures de forme recherchée, souvent à plusieurs niveaux, construites aussi bien en horizontale qu'en verticale. On relève aussi un assez grand nombre d'abréviations de différente nature. La paléographie de l'épitaphe d'Ignatios ne connaît point d'analogue en Nubie. Kubińska, Faras IV, p. 26 la rapproche de l'épitaphe de Manise en Lydie, datée du XI siècle.

D'après la pierre à Faras, S. Jakobielski, Faras III, p. 202-205 (transcription en majuscule copte), fig. 73 sur p. 204 et p. 70. D'après la pierre au Musée National de Varsovie, Kubińska, Faras IV, p. 26-32, no. 4, fig. 5.

Cf. S. Jakobielski, Klio 51 (1969), p. 506, phot. 4. D. Hagedorn, Bibl. Orientalis 33 (1976), p. 184 (compte rendu de la publication de Kubińska). S. Donadoni dans: Graeco-Arabica. First International Congress on Greek and Arabic Studies III, Athènes 1984, p. 16 (il cite lignes 1-8). A. Łajtar, ZPE 125 (1999), p. 162, no. 122 (bibliographie). Faras. Die Kathedrale aus dem Wüstensand. Eine Ausstellung des Kunsthistorischen Museums Wien und des Nationalmuseums in Warschau, hrsg. von W. Seipel, Kunsthistorisches Museum 23. Mai bis 15. September 2002, p. 100-101, no. 32, avec une photographie à la p. 102.

23 janvier 802 ap. J.-C.

Texte (a)

€ neu/sei (kai\) boulh/sei q(eo)u= pantokra/toroj tou= th\n e)jou-si/an e)/xontoj zwh=j (kai\) qana/tou )pedh/mhsen e)ntau=-qa pro\j to\ bh=ma tou= kti/santoj au)to\n (kai\) e)koimh/qh o( pam-maka/r(i)oj o( e)n a(gi/o(i)j (kai\) kaqosiwme/noj e)pi/sk(opoj) )Igna/tioj e)n mhni\ Tu=bi khÄ, h(me/(r#) Kuriak$=, e)/to(u)j kosmopoi/aj ,jsqdÄ, e)/t(o)uj Dioklht(ianou=) i)hÄ, i)nd(ikti/wnoj) iÄ: EPAIREWSAS t(h\)n e(au-tou= )rxieratikh\(n) ta/jin e)n kalai=j (kai\) qeare/st(oij) litourgik(a)i=j

8       latrei/aij fleroprepw=j (kai\) qakoprepw=j (kai\) kalh\n )na/paulan e)/sxen: zh/saj )po\ gennh/sewj au)tou= e(/wj teleut(h=j) e)/th ohÄ, e)n me\n toi=j )gw=sin th=j monadikh=j bi/ou nhÄ, e)n de\ t$= ta/jei th=j )rxierosu/n(hj) ljÄ: ei)( ) )na/p(auson) m(e)t(a\) t(w=n)

p(ate/)rwn au)tou= €

Texte (b)

12 € de/spota ou)(ra)nou= (kai\) gh=j, o( q(eo\)j t(w=n) pn(eum)a/t(wn) (kai\) pa/shj <s>arko/j, o( k(u/rio)j t(w=n) kurieuo/nt(wn), o( q(eo\)j pa/shj paraklh/-sewj, o( to\n qa/naton katargh/saj (kai\) to\n dia/bolon katapath/saj (kai\) zwh\n xarisa/menoj t%= ge/ne(i) t(w=n) )n-(qrw/p)wn, o( q(eo\)j t(w=n) pate/r(wn), h( )na/pausij tw=(n) qlibome/nwn, )na/pauson th\n cu-xh\n au)tou= e)n to/p%fwtin%=, )mh/n. 16 e)pi\ d(e\) X(risto)u= cqdÄ - - -

2. qanaton Jakobielski || 4. enagio! Jakobielski | kaqosiw/menoj Kubińska || 5. meni/ Kubińska | h(me/r# K(uriak$=) Kubińska | e)/touj Kubińska | lire kosmopoii/aj ... sbfdÄ Kubińska || 6. thn Jakobielski, th\n Kubińska | e)pairew/saj Kubińska, lire peraiw/saj(?) (voir commentaire) || 7. e)nkalw=j (kai\) qeare/st(wj), litourgh/saj Kubińska || 10. lire tou= monadikou= bi/ou || 11. )rxierosu/nhj Kubińska, lire )rxierwsu/nhj | toute la partie finale de la ligne après le chiffre lj manque dans l'édition de Kubińska; Jakobielski ne lit rien entre le numéral lj et m(e)t(a/) ... meta twn Jakobielski; ici, mais aussi à de nombreux autres endroits où apparaît le génitif pluriel, l'arceau au-dessus du « t» désigne une abréviation et non pas la lettre « w» || 12. twn pn(eum)atwn Jakobielski, tw=n pn(eum)a/tw(n) Kubińska (cf. l. 11) || 13. sarko/j Kubińska; pa!h!arko! est une haplographie | twn kurieuontwn Jakobielski, tw=(n) kurieuo/ntw(n) Kubińska (cf. l. 11) || 14. twn Jakobielski, tw=n Kubińska (cf. l. 11) || 15. twn paterwn Jakobielski, tw=(n) pate/rw(n) Kubińska (cf. l. 11) | twn Jakobielski, tw=(n) Kubińska (cf. l. 11) | fwti/n%Kubińska, lire fwtein%= || 16. manque chez Kubińska; Jakobielski ne reproduit pas cette ligne dans la transcription des pages 202-205 mais en fait un commentaire à la p. 70

Par l'assentiment et par la volonté du Dieu Tout-Puissant qui a le pouvoir de la vie et de la mort, il s'est retiré d'ici vers le tribunal de son créateur et s'est endormi le bienheureux sa Sainteté l'évêque Ignatios le 28 jour du mois Tybi, dimanche, dans l'année 6294 de l'ère de la création du monde, dans l'année 518 de l'ère de Dioclétien, indiction 10, ayant très bien accompli sa fonction d'évêque et de façon à plaire à Dieu ayant exercé le culte saintement et de façon digne du siège (épiscopal), il a eu le bon repos après avoir vécu depuis sa naissance jusqu'à sa mort 78 ans, dans les combats de la vie monastique 58 ans, dans la fonction d'évêque 36 ans. (Et) maintenant (?) accorde le repos (à lui) ---avec ses pères. (L'année) du Christ 794 - - -.

Maître du ciel et de la terre, Dieu des esprits et de toute chair, Seigneur des Seigneurs, Dieu de toute consolation (Toi) qui as aboli la mort et as foulé aux pieds le diable et as accordé la vie à la race des hommes, Dieu des pères, repos des opprimés, accorde le repos à son âme dans un lieu de lumière, amen.

1.         En dehors de cette inscription, la formule neu/sei kai\ boulh/sei tou= qeou= est attestée quatre fois dans les épitaphes grecques de Nubie, toujours à la même place au début de l'inscription: 1) dans l'épitaphe de Kollouthos, évêque de Faras (mort en 923), Kubińska, Faras IV, p. 32-33, no. 5; 2) dans l'épitaphe de Stéphanos, évêque de Faras (mort en 926), infra, no. 107; 3) dans l'épitaphe du moine Iôannès trouvée par la mission archéologique polonaise au Vieux Dongola (VIII-X siècle), A. Łajtar, Oriens Christianus 81 (1987), p. 123-124, no. 8; 4) dans l'épitaphe d'Elisabeth trouvée à Gebel Barkal (VIII-X siècle), A. Łajtar, JJP 26 (1996), p. 85-89 (au lieu de boulh/sei on lit dans ce texte boul$=). Dans les épitaphes coptes de Nubie, on retrouve souvent une formule analogue HmpouwS mpnoute (« par la volonté du Dieu »). En dehors de la Nubie, la formule neu/sei kai\ boulh/sei tou= qeou= n'est pas attestée dans les inscriptions funéraires. On connaît par contre des épitaphes dans lesquelles, comme raison de la mort de l'homme, on évoque uniquement bou/lhsij de Dieu; en voici quelques exemples: boulh/s(ei) despo/tou qeou= (Wietheger, Das Jeremias-Kloster zu Saqqara unter besonderer Berücksichtigung der Inschriften, p. 417, no. 317; épitaphe trouvée dans le monastère Saint-Jérémie à Saqqara); qeou= boulh/s$ (MAMA III 709; épitaphe de Corycos en Cilicie).

1-2.Dieu est désigné comme celui qui a le pouvoir sur la vie et sur la mort dans quelques autres épitaphes de Nubie. En voici quelques-unes: l'épitaphe d'un inconnu trouvée au Vieux Dongola, inédite: [˘]j e)/x???[j te

[eij e)]jous[i/an z]wh=(kai\) qana/tou]; une autres épitaphe du Vieux Dongola (actuellement au Musée Soudanais de Khartoum), malheureusement difficile à restituer, inédite: [k]ai\ k??? [ env. 5-6 ] zwh=j t?

[ata\ ke/l]eusin [e kai\ qa]na/tou; l'épitaphe d'un certain Georgios de Nawi près du Vieux Dongola (mort très vraisemblablement en 857), Tibiletti Bruno, Iscrizioni nubiane, no. 5: [kata\ t(h\n) pro/noi]an t(o)u= e)leh/monoj q(eo)u= ˘[j e)/xei e)jou]si/an zwh=j te k(ai\) qana/t(o)u; l'épitaphe d'une femme issue de la nécropole de Ginari-Tafa dans le nord de la Nubie, C. M. Firth, The Archaeological Survey of Nubia. Report for 1908-1909, vol. I, Cairo 1912, p. 50, première inscription en haut dans la colonne de gauche: [o( q(eo\)j tw=n pn(eum)a/twn] kai\ pa/shj [sarko/j, ˘j e)/xeij] e)jousi/an zwh=j kai\ <q>ana/[tou, )na/]pauson ktl. Dieu comme maître de la vie et de la mort apparaît très souvent dans les liturgies de l'Église primitive; cf. p.ex. Sacramentarium de Sarapion, évêque de Thmuis, prière pour les morts (cf. F. X. Funk, Didascalia et constitutiones apostolorum II, p. 192): o( qeo\j o( zwh=j kai\ qana/tou th\n e)jousi/an e)/xwn; liturgie alexandrine de saint Marc, prière pour les morts, W. F. Macomber, OCP 43 (1997, p. 333. Tous ces exemples ont leur source dans Sap. 16, 33: su\ ga\r zwh=j kai\ qana/tou e)jousi/an e)/xeij. L'idée de dieu comme maître de la vie et de la mort était aussi connue dans le monde païen; cf. Galen XIV, p. 214-215 (Kühn): e)jousi/an qana/tou kai\ zwh=j e)/xontej.

2.         Le verbe )podhme/w apparaît rarement dans les épitaphes pour exprimer la mort. En Nubie, en dehors du texte étudié, on ne le rencontre que dans l'épitaphe d'un certain Kyriakos de Ginari-Tafa, Firth, op. cit., p. 49, Grave 842: e)k tou= polumo/xqou tou/tou ai)w=noj )pedh/mhse o( maka/rioj (kai\) oi)zuro\j kai\ mhnunqa/dioj Kuriako/j (Firth a lu: apelhmhse, soizuroj, mhnun qalioj) et dans celui du prêtre Ioannes de Ghazali, S. Donadoni dans: Nubische Studien, Mainz 1986, p. 225: )pe/sth )po\ t(w=)n e)nqa/de kai\ )pe[dh/]mhsen pro\j to\n au)tou= kti/sthn. En dehors de la Nubie, on le retrouve dans les textes suivants: IG XIV 348: Mhbi/a Ma/jima )pedh/mhsen e)/th jeÄ (Sicile); Fr. P.-M. Séjourné RB 7 (1898), p. 126-8: ... e)pedh/mhsen pro\j K(u/rio)n o( th=j o(si/aj mnh/mhj Leo/ntioj presb(u/teroj) (Ain Fit aux environs de Banias en Palestine; e)pidhme/w est sans doute une erreur pour )podhme/w). On peut comparer e)kdhme/w dans l'épitaphe de Makédonios, évêque de Césarée en Macedoine, Th. Rizakis, G. Touratsoğlou, )Epigrafe\j )/Anw Makedoni/aj ()Eli/meia, )Eordai/a, No/tia Lugkesti/j, )Oresti/j), Athènes 1985, no. 66: ... klh/si tou= tw=n o(/lwn despo/(tou) Q(eo)u= th\n proedri/an e)/laxhn th=j Kaisare/wn po/(lewj) Makedoni/aj: e)/stin ou(=toj )nh\r ta\ pa/n() eu)/fhmoj ˘j e)piskoph/saj e)/toj ©n mh=<i>na aÄ tou= t$=de bi/ou e)kdhmh/saj mh(ni\) )Ianouari/%kgÄ i)nd(ikti/wnoj) aiÄ pro\j Q(eo\)n e)nedh/mhsen et dans l'épitaphe d'un moine de Panion en Thrace, C. Asdracha, Arch. Delt. 44-46 (1989-1991, publ. 1996), p. 372-374, no. 70, ll. 15-18: e)jedh/[m]hsen mhni\ Au)gou/st(ƒ) gÄ, i)nd(ikti/wnoj) eiÄ, [e)/t]ouj ,jtjÄ (3 août 822 ap. J.-C). Cf. aussi )poxwre/w dans une épitaphe de Sicile, IG XIV 238: e)nq[a/]de ki=te Markianh\ semnh\ k(ai\) a)/memptoj biw/sa[sa] i)j to\n ko/smon tou=ton: )pexw/ri pro\j [t(o\n)] ku/rion e)tw=n iaÄ.

2-3.Kubińska a compris le mot e)ntau=qa comme «là» en l'associant à pro\j to\ bh=ma tou= kti/santoj au)to/n; elle a donc traduit: « il s'est retiré là vers le tribunal de son créateur». Mais, en fait, il s'agit plutôt du sens «d'ici», autrement dit « de ce monde » plein de soucis et d'incertitudes. Le motif de la mort considérée comme un passage de ce monde vers l'éternité est souvent exploité dans les épitaphes de Nubie; cf. les épitaphes de Kyriakos de Ginari-Tafa et d'Ioannes de Ghazali citées dans le paragraphe précédent.

3.         Le mot bh=ma servait à l'origine à désigner une place en hauteur ou une tribune où l'on se mettait pour prendre la parole lors d'un assemblement public ou pendant un procès devant le tribunal, puis, à l'époque impériale, le tribunal d'un haut fonctionnaire d'État (p.ex. gouverneur de province) dans sa fonction de justicier. Dans la terminologie chrétienne, bh=ma désigne bien souvent le trône occupé par Dieu le Père ou le Christ et sert à mettre en valeur ou à souligner les prérogatives de juge attachées à Dieu par sa fonction de créateur et maître du monde. C'est dans ce sens que le mot bh=ma apparaît dans les épitaphes chrétiennes, dans les formules de malédiction contre les violeurs de tombes qui, pour être jugés, sont envoyés devant le Dieu trônant. Peut-être faut-il comprendre ainsi ce mot dans l'épitaphe d'Ignatios: l'évêque a été appelé devant la Créateur pour y être jugé. La mort envisagée comme le départ vers le Créateur apparaît aussi dans l'épitaphe du moine Ioannesa de Ghazali; cf. commentaire de la ligne 2.

3-4.Sur l'épithète pammaka/rioj (dérivés de maka/rioj) dans les épitaphes grecques chrétiennes voir. J. Pelsmaekers, BIBR 58 (1988), p. 5-9.

4.         Pour les généralités sur l'épithète o( e)n a(gi/oij voir A.-J. Festugière, Les moines d'Orient III 1, Les moines de Palestine. Cyrille de Scythopolis, Vie de Saint Euthyme, Paris 1962, p. 80, n. 52. L'épithète en question véhicule le même sens que o( a(/gioj et peut être employée comme son synonyme. Elle correspond au latin sanctus ou sanctissimus et peut être traduite en français par « Sa Sainteté », « Sa Béatitude ». À la basse Antiquité, cette épithète constituait une sorte de titre honorifique accordé avant tout à des ecclésiastiques et des moines mais aussi, à certaines occasions, à des laïcs (surtout à l'empereur). On honorait de ce titre aussi bien des vivants que des morts. L'épithète o( e)n a(gi/oij apparaît très souvent dans les sources littéraires qui se rapportent à l'histoire de l'Église de la basse Antiquité, par contre elle n'est pas fréquente dans les inscriptions. Les exemples que l'on peut citer sont (sans compter les inscriptions médiévales de Chypre, Mistra, Épire, Thessaloniques, Constantinople et de Chersonèse): J. Rey-Coquais, Inscriptions grecques et latines découvertes dans les fouilles de Tyr (1963-1974) I, Inscriptions de la nécropole [= Bulletin du Musée de Beyrouth 29], Paris 1977, no. 200; A. Negev, The Greek Inscriptions from the Negev [= Studium biblicum Franciscanum. Collectio minor 25], Jerusalem 1981, nos. 59, 60 et 63. Les inscriptions originaires de la vallée du Nil fournissent les exemples suivants: Lefebvre, Recueil, nos. 10 (Duhela près d'Alexandrie) et 615 (Tafah dans la Nubie septentrionale); SB I 5100 (Abydos); SB III 6249; SB IV 7318 (ces deux inscriptions viennent de Duhela près d'Alexandrie); U. Horak dans: J. Henner, H. Förster, U. Horak (ed.), Christliches mit Feder und Faden. Christliches in Texten, Textilien und Alltagsgegenständen aus Ägypten. Katalog zur Sonderausstellung im Papyrusmuseum der Österreichischen Nationalbibliothek aus Anlaß des 14. Internationalen Kongresses für Christliche Archäologie [= Nilus 3], Wien 1999, p. 57-58, no. 47 (provenance inconnue). L'épithète o( e)n a(gi/oij est aussi attestée dans les papyrus d'Égypte. La liste des occurrences se présente comme suit: P. Ant. III 198; P. Cairo Masp. I 67089, V, 2; P. Cairo Masp. III 67294, 3 (ces deux exemples d'Aphrodito); P. Grenf. I 63, 9 (d'Apollonopolis Magna); P. Haun. III 52, 5 (provenance inconnue); P. Haun. III 64, lignes 2, 7 et 27 (nome oxyrhynchite); SPP III 344; SPP X 1 (ces deux exemples du nome arsinoïte). Toutes les attestations égyptiennes de l'épithète o( §n èg¤oiw, aussi bien épi-graphiques que papyrologiques, datent du VI-VII siècle.

kaqosiwme/noj paraît assez étrange à cet endroit du texte, sinon complètement insolite. kaqosiwme/noj (lat. devotissimus) est un titre honorifique accordé à la basse Antiquité à des soldats de garde et de troupes régulières ainsi qu'à leurs chefs jusqu'au grade de tribun, mais aussi à des magistrats de la cour et de la chancellerie royale dont l'organisation était quasi militaire; cf. Hornickel, Ehren- und Rangprädikate, p. 18. Il est vrai que dans la Nubie chrétienne, l'usage de titres honorifiques était beaucoup plus libre qu'à By-zance, mais il est difficile de s'imaginer que même là le titre de kaqosiwme/noj ait pu être attaché à un ecclésiastique. Il se peut que kaqosiwme/noj ait été utilisé par erreur pour o(siw/tatoj, titre honorifique accordé à des membres supérieurs du clergé, surtout à des évêques.

Sur l'évêque de Faras Ignatios voir Jakobielski, Faras III, p. 69-72. Ignatios figure en huitième position sur la liste des évêques de Faras avec information selon laquelle son épiscopat a duré 34 ans; cf. Jakobielski, Faras III, p. 194 [8]. Cette information ne concorde pas avec les données contenues dans l'inscription funéraire étudiée où, à la ligne 11, la durée de l'épiscopat d'Ignatios (ta/jij th=j )rxierosu/nhj) est désignée du chiffre 36. Cette différence est à l'origine de l'hypothèse avancée par Jakobielski en termes de laquelle Ignatios serait institué à Faras déjà comme évêque d'un autre diocèse qui soit appartenait à l'Église d'Orient soit restait sous son influence. L'hypothèse de l'évêque venu du Nord est en effet confirmée par différents types de sources. L'examen des fragments de squelette découverts dans sa tombe a permis de constater qu'Ignatios appartenait selon toute probabilité à la race blanche; cf. T. Dzierżykray-Rogalski, The Bishops of Faras. An Anthropoligical-Medical Study [= Faras 8], Warszawa 1985, p. 63-77 et p. 258. Au temps de l'épiscopat d'Ignatios, la peinture de la cathédrale de Faras entre dans la période dite violette qui affiche de nombreuses similitudes avec la peinture byzantine. Du point de vue paléographique, l'épitaphe d'Ignatios est absolument exceptionnelle dans le contexte nubien, on peut par contre lui trouver des parallèles en Asie Mineure (cf. supra). L'expression to\n dia/bolon katapath/saj dans une prière pour l'âme du défunt prouve que cette dernière appartient au type byzantin; dans la version nubienne de la prière on lit toujours à cet endroit du texte: to\n údhn katapath/saj (cf. infra). Le nom Ignatios, répandu à Antioche, très certainement à cause du culte de saint Ignace, ainsi qu'une nette préférence pour les représentations de saints d'Antioche dans la peinture du style violet à Faras ont amené Jakobielski à formuler l'hypothèse sur l'origine antiochienne d'Ignatios. Il aurait quitté la ville pour fuir les persécutions des iconoclastes. Il est possible d'établir un parallèle entre le cas d'Ignatios et celui du prêtre Zacharias (?) dont l'épitaphe datée de 824 fut découverte à Dongola; cf. A. Łajtar, Archéologie du Nil Moyen 5 (1991), p. 159-162 = idem, Oriens Christianus 81 (1997), p. 125-126, no. 11. Dans l'épitaphe en question le prêtre défunt est désigné comme o)qnei=oj (= nouveau venu), et le chiffre correspondant à la durée de sa fonction est accompagné de la remarque ...j oi)/damen (= ceux dont nous avons connaissance), ce qui laisse supposer que Zacharias s'est installé à Dongola déjà en qualité de prêtre. La date de sa mort suggère qu'il pouvait appartenir à la même vague d'émigrés qu'Ignatios, laquelle avait fui les persécutions iconoclastes.

5. Sur la pratique de mentionner les jours de la semaine dans les inscriptions voir K. A. Worp, « Remarks on Weekdays in Late Antiquity Occuring in Docu-mentary Sources », Tyche 6 (1991), p. 221-230. Worp ne tient pas compte des sources nubiennes. Comme partout dans le monde chrétien d'Orient, en Nubie les jours de la semaine étaient numérotés, avec des variantes de nom pour le vendredi (cf. épitaphe de l'évêque de Faras Stéphanos, infra, no. 107), le samedi et le dimanche (comme ici). Les jours de la semaine, tels qu'ils apparaissent dans les sources épigraphiques de Nubie, ne concordent pas toujours avec nos calculs actuels, mais ce n'est le cas ni de la présente inscription ni de l'épitaphe de l'évêque Stéphanos.

5-6.L'année de la mort d'Ignatios est exprimée selon différents systèmes de datation. Ainsi apparaissent dans l'ordre: ère depuis la création du monde (alexandrine), ère de Dioclétien, indiction et, à la ligne 16, ère depuis la naissance du Christ (alexandrine). Pour ce qui est de la Nubie, on retrouve cette façon de signaler la date annuelle dans quelques autres épitaphes provenant de Faras et du Vieux Dongola, toutes datées du VIII-IX siècle. Il s'agit notamment des inscriptions suivantes: épitaphe de l'évêque de Faras Kollouthos, 923 ap. J.-C. (Kubińska, Faras IV, p. 32-34, no. 5: ère alexandrine depuis la création du monde, cycle alexandrin de 532 ans, indiction, ère alexandrine depuis la naissance du Christ, ère de Dioclétien); épitaphe de l'évêque de Faras Stéphanos, 926 ap. J.-C. (infra, no. 107: ère alexandrine depuis la création du monde, cycle alexandrin de 532 ans, indiction, ère alexandrine depuis la naissance du Christ, ère de Dioclétien); épitaphe du prêtre Thomas de Dongola, 798 ap. J.-C. (infra, no. 112: indiction, ère alexandrine depuis la création du monde, ère alexandrine depuis la naissance du Christ, ère de Dioclétien); épitaphe du Dongola (A. Łajtar, Archéologie du Nil Moyen 5 [1991], p. 159-162 = idem, Oriens Christianus 81 [1997], p. 125-126, no. 11: ère depuis la création du monde, [ . . . ], ère depuis la naissance du Christ); épitaphe de Géorgios de Nawi aux environs de Dongola, vraisemblablement 857 ap. J.-C. (SB IV 7428; SEG VIII 871: ère alexandrine depuis la création du monde, ère alexandrine depuis la naissance du Christ, ère de Dioclétien); épitaphe d'un inconnu d'Amentogo aux environs de Dongola, vraisemblablement 938/939 ap. J.-C. (A. I. Elanskaia dans: Meroe. Istoria, istoria kultury, jazyk drevniego Sudana, Moskva 1975, p. 273-277: [ . . . ], ère depuis la naissance du Christ, ère de Dioclétien). Il faut remarquer que certains parmi ces systèmes de datation (ère alexandrine depuis la création du monde, ère alexandrine depuis la naissance du Christ, cycle alexandrin de 532 ans) ne présentaient en règle générale qu'un faible intérêt pratique, car ils étaient utilisés surtout par des responsables du comput, pour dresser le calendrier des fêtes mobiles (Pâques), et par des chroniqueurs. Il est difficile de savoir ce qui fut à l'origine d'un système si complexe de détermination de dates annuelles en Nubie. Il s'agissait peut-être d'une formalité imposée par les autorités ecclésiastiques ou laïques, mais on ne peut pas exclure l'hypothèse d'une simple manifestation d'érudition. Il faut remarquer que toutes les données concernant la date annuelle de la mort d'Ignatios concordent, ce qui n'est pas de règle dans les épitaphes de Nubie.

6.         La lecture EPAIREWSAS est certaine. Elle pose quelques problèmes. Peut-être faudrait-il lire peraiw/saj (participe aoriste de peraio/w avec augment conservé et la substitution de « e» à « ai» et « ai» à « e»).

Le mot )na/paula est rare dans les inscriptions qui, pour désigner le « repos », utilisent généralement le terme )na/pausij. En Nubie, on retrouvera probablement )na/paula dans une épitaphe de Khandaq aux environs de Dongola: do\j [)n]a/pau?lan e)n x[w/r]# fwtinw=<n> ?(U. Monneret de Villard, La Nubie médiévale I, Le Caire 1935, p. 242-243; nous rapportons ici notre lecture de la pierre au Musée Sudanais à Khartoum). En dehors de la Nubie, on peut mentionner TAM II 711 ()na/pa]ulan e)/xi).

Dans l'expression th=j monadikh=j bi/ou, le substantif n'est accordé ni avec l'adjectif qui le qualifie ni avec l'article qui le concerne. Peut-être que l'auteur de l'inscription pensait écrire th=j monadikh=j politei/aj.

Sans doute ei)=(ta) )na/p(auson). Si c'est le cas, nous aurons affaire à un témoignage direct d'inspiration puisée dans un livre de liturgie pour la rédaction de l'inscription funéraire. En effet, dans les euchologes, différents éléments de liturgie, surtout des prières, sont très souvent introduits par ei)=ta.

Les lignes 12-15 contiennent la prière pour l'âme du défunt. Du point de vue formel, elle se compose d'une série d'invocations adressées à Dieu et d'une seule imploration concernant le repos de l'âme dans un lieu de lumière. Quant à la genèse du texte, la prière est une compilation de citations et d'adaptations de l'Ancien et du Nouveau Testament. Son rédacteur a emprunté des passages soit directement à la littérature biblique soit à des sources secondaires, surtout de caractère liturgique, qui reprenaient souvent des motifs et des expressions bibliques. La prière de l'épitaphe d'Ignatios considérée dans son intégralité ne connaît aucun analogue ni en Nubie ni ailleurs dans le monde chrétien.

Les deux premières invocations ont leur source dans le Pentateuque; cf. Gen. 24, 7: ku/rioj o( qeo\j tou= ou)ranou= kai\ o( qeo\j th=j gh=j et Nombres 16, 22: qeo\j tw=n pneuma/twn kai\ pa/shj sarko/j, ei) a)/nqrwpoj eÂj ¥marten, e)pi\ pa=san th\n sunagwgh\n o)rgh\ kuri/ou. Les deux invocations sont très largement exploitées dans la littérature paléochrétienne; liste des citations chez Kubinska, Faras IV, p. 29 et 76. L'invocation o( qeo\j tw=n pneuma/twn kai\ pa/shj sarko/j, qui ouvre la prière pour l'âme du défunt, continue à être récitée dans l'Église byzantine pendant la liturgie funéraire. En Nubie, elle était gravée sur des stèles funéraires; sur cette prière voir le commentaire de l'inscription 108.

Les deux invocations suivantes sont empruntées à saint Paul. L'expression ku/rioj tw=n kurieuo/ntwn se trouve dans 2 Tim. 6, 15, passage dans lequel ont puisé de nombreux auteurs paléochrétiens. Elle apparaît entre autres dans la Liturgie grecque de saint Marc, prière pour l'empereur (G. J. Cuming, The Liturgy of St Mark [= Orientalia Christiana Analecta 234], Roma 1990, p. 7): de/spota ku/rie o( qeo\j, o( pantokra/twr, o( path\r tou= kuri/ou kai\ qeou= kai\ swth=roj h(mw=n )Ihsou= Xristou=, basileu\j tw=n basileuo/ntwn kai\ ku/rioj tw=n kurieuo/ntwn.

Quant à qeo\j pa/shj paraklh/sewj, elle apparaît dans 2 Cor 1, 3: eu)loghto\j o( qeo\j kai\ path\r tou= kuri/ou h(mw=n )Ihsou= Xristou=, o( path\r tw=n oi)ktirmw=n kai\ qeo\j pa/shj paraklh/sewj. La littérature paléochrétienne l'a empruntée à saint Paul et nous pouvons la retrouver entre autres dans le livre VIII des Constitutions apostoliques, prière pour l'élection de l'évêque (Funk, Didascalia et constitutiones apostolorum II, p. 78). En Nubie, cette ex-pression figure dans la prière pour le défunt dans l'épitaphe du prêtre Thomas de Dongola; cf. infra, no. 112, l. 11.

L'invocation o( to\n qa/naton katargh/saj (kai\) to\n dia/bolon katapath/saj (kai\) zwh\n xarisa/menoj t%= ge/ne(i) t(w=n) )n(qrw/p)wn renoue sans doute avec l'invocation de la prière pour les morts connue dans l'Église byzantine (et dans quelques autres églises orientales), que l'on retrouve en Nubie sur les stèles funéraires; sur cette prière, voir commentaire de l'inscription 108. En version byzantine, le fragment correspondant de cette invocation se présente comme suit: o( to\n qa/naton katargh/saj kai\ to\n dia/bolon katapath/saj kai\ zwh\n t%= ko/sm%xarisa/menoj; en version nubienne à la place de dia/bolon on retrouve údhn. Il est intéressant de constater que l'épitaphe d'Ignatios suit dans ce passage la version byzantine et s'oppose visiblement à la version nubienne, ce qui peut être considéré comme confirmation de l'origine étrangère (byzantine) d'Ignatios. L'expression zwh\n xarisa/menoj t%= ge/ne(i) t(d) )n(qrw/p)wn ne connaît d'analogues directs ni dans la version byzantine ni nubienne de la prière. Kubinska, Faras IV, p. 30, rapproche la version éthiopienne de la prière: «Tu as accordé la vie à la race humaine»; cf. B. Vela, Etudes sur le Mee¯ra¯f commun de l'office divin éthiopien. Introduction française, commentaire liturgique et musical [= Patro-logia Orientalis], Paris 1966, p. 201.

L'invocation o( q(eo\)j t(w=n) pate/r(wn) apparaît à plusieurs reprises dans l'Ancien Testament; cf. p. ex. Gen. 43, 23; 46, 3; Ex. 3, 13; 4, 5; Deut. 1, 11; 1, 21; Od. 12, 2; 14, 34. Elle est aussi attestée dans le Nouveau Testament, mais seulement dans les Actes des Apôtres; cf. 3, 13; 5, 20; 7, 32; 22, 14. Sous l'effet de la Bible, elle apparaît très souvent dans la littérature paléochrétienne(p.ex. chez Athanase, Basile, Didyme, Épiphane, Jean Chrysostome etc.). Elle est attestée dans les inscriptions grecques de la vallée du Nil; cf. Lefebvre, Recueil, nos. 67 (du Vieux Caire), 237, 10 (d'Akhmîm/Panopolis) et 790 (du Fayoum).

L'invocation h( )na/pausij tw=(n) qlibome/nwn ne connaît pas d'analogues directs dans les sources grecques. Kubińska, Faras IV, p. 60 rapproche un passage de la prière pour les morts de l'Office éthiopien: «repos de ceux qui sont tourmentés par la souffrance » (Vela, op. cit. p. 202). L'auteur indique les passages de l'écriture Sainte et de la littérature patristique qui ont pu inspirer cette invocation.

La demande du repos pour l'âme du défunt e)n to/p%fwtein" apparaît dans la prière pour les morts dite o( qeo\j tw=n pneuma/twn kai\ pa/shj sarko/j; cf. commentaire de l'inscription 108.

[A.Ł.]


AttachmentSize
106.pdf195.13 KB