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113. ÉPITAPHE DU PRÊTRE THÔMAS

Département d'Art de l'Orient chrétien, inv. 235164.

Trouvée par la mission archéologique polonaise au Vieux Dongola pendant la campagne de fouilles 1965/66, à l'intérieur de l'Église à colonnes de granite, encastrée dans le dallage supérieur (le plus récent) de la nef, à 60 cm à l'ouest de la marche vers le haikal, à côté de la stèle du prêtre Stéphanos (Istéphanou) - supra, no. 110; la pièce reposait sur le sable, à la différence du reste du dallage qui était posé sur une couche de vase; sous cette couche se trouvaient les pierres du dallage moyen.

Grès gris. Dalle aux dimensions: h. 43,5 cm, l. 37 cm, ép. 6,5 cm. Les coins supérieur gauche et inférieur droit brisés, la surface de la pierre très fortement endommagée, surtout au bas dans la partie médiane. Le champ épigraphique aux dimensions: h. 40,3 cm, l. 34 cm est enfermé dans un double cadre gravé et divisé au moyen de lignes horizontales en registres de 2,2 cm - 2,3 cm de largeur. Gravure profonde et soignée. Lettres peintes en rouge; les traces de peinture étaient encore visibles au moment de la découverte du monument, aujourd'hui disparues. Pour ce qui est de la paléographie, les lettres représentent la majuscule épigraphique. On note la présence de nomina sacra, d'abréviations et de nombreuses ligatures construites aussi bien en horizontale qu'en verticale. H. des lettres dans les deux premiers registres: 1,2 - 1,3 cm, dans les autres: 1,5 cm - 1,8 cm.

D'après la pierre au Musée National de Varsovie, A. Łajtar, Aegyptus 72 (1992), p. 129-142 avec photographie sur p. 114 (H.-A. Rupprecht, SB XX 14177). idem, Oriens Christianus 81 (1997), p. 124-125, no. 9: texte grec avec traduction en anglais.

Cf. S. Jakobielski, A. Ostrasz, Kush 15 (1967/68), p. 133 (c), pl. XXIV, XXVII (sur le contexte de la découverte; sont données les information sur le défunt et la date de son décès). A. Łajtar, ZPE 125 (1999), p. 163, no. 126 (bibliographie). S. Jakobielski [in:] S. Jakobielski, P. O. Scholz (ed.), Dongola-Studien. 35 Jahre polnischer Forschungen im Zentrum des makuritischen Reichs [= Bibliotheca nubica et aethiopica 7], Warszawa 2001, p. 30.

29 avril 799 ap. J.-C.

[~ env. 10 ]j tou= pantodunamw/santoj q(eo)u=

[tou= dia\ tou=] sto/matoj au)tou= (kai\) )xrantikai=j xer

[s]i\n i)di/aij )po\ gh=j gh=n labw\n (kai\) pla/santoj 4 to\n a)/n(qrwp)on e)k th=j xoi+kou= kai\ tou/t%e)mfu/san

toj pn(eu=m)a zwh=j keleu/ontoj au)tou= qe/lontoj

METEQH tou\j e)ntau=qa qoru/bwn Qwma=n, to\n

-

makari/thn (kai\) ti/mion presbu/thn e)n mh(ni\) Paxw\n d , flera-

- --

8teu/[s]ij me\n e)/th n , : e)/th d¡ e)n t$= zw$= au)tou= qa :i)nd(ikti/wnoj) zÄ, tou= ko/smou e)/th

e(jakisxi/lia diako/siaqÄ,)po\e)pidimi/aj X(risto)u= cqÄ,)po\Dioklhtia

--

[n]ou= i)e. k(u/ri)e o( q(eo\)j tw=n pn(eum)a/twn (kai\) pa/shj sarko/j, o( p(at)h\r tou= k(uri/o)u h(m

sto)u=, q(eo\)j pa/shj paraklh/sewj, )na/pauson th\n cu-12 xh\n tou= dou/lou sou Qwma= pr(es)but(e/rou)

meta\ tw=n a(gi/wn sou (kai\) mh\ )po-dokima/s$j e)k pai/dwn sou )lla\ kataji/wson au)to\n su\n pa=sin toi=j a(gi/oij sou tou\j e)piniki/ouj u(/mnouj õsai [(kai\) ta\ e)/ph (?) th=j] do/jhj ei)pei=n: eu)loghme/noj o( e)rxo/menoj

16[e)n o)no/]mati k(uri/o)u: ...sanna\ e)n toi=j u(ci/stoij o ?[ enw. 9 ] [ enw. 9 ]n ei)j tou\j ai)w=naj tw=n ai)w/nw[n, )mh/n €].

----d

1. qu || 2. S || 3. S || 4. anon xoi+kou || 7. S mh || 7-8. i+erateu[!]i! || 8. in|| 10. S || 12. d

3. lire labo/ntoj || 4. lire e)k th=j xou= || 6. lire tw=n e)ntau=qa qoru/bwn(?) || 9. lire e)pidhmi/aj || 10. i)aÄ Łajtar [1992] et [1997] || 14. u(mnou=sa{sa}i Łajtar [1992]

[---]puisque le Dieu Tout-Puissant qui, par sa bouche et en prenant la terre de la terre dans ses mains immaculées, forma l'homme de la poussière et souffla en lui un souffle de vie l'ordonne et le veut, de sainte mémoire le vénérable Thomas, prêtre, s'est retiré du tumulte de ce monde le quatrième jour du mois Pakhôn, dans la cinquantième année de sa prêtrise, les années de sa vie étaient 91, pendant la septième indiction, en l'an 6290 depuis la création du monde, en l'an 790 depuis le séjour du Christ sur la terre, en l'an 515 depuis Dioclétien. Dieu des esprits et de toute chair, Père de notre Seigneur Jésus Christ, Dieu de toute consolation, accorde le repos à l'âme de Ton serviteur Thomas presbytre avec Tes saints et ne l'éloigne pas du cercle de Tes enfants mais rends-le digne de chanter avec tous Tes saints l'hymne de la victoire et de prôner les paroles de gloire: « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, Hosanna dans les lieux très hauts [...] aux siècles des siècles, amen ».

L'inscription se compose de deux parties. La partie (1), lignes 1-10, informe de la mort du presbytre Thomas et signale la date de cet événement. La partie (2), lignes 10-17, contient la prière pour l'âme du défunt. Les données concernant la vie et la mort de Thomas contenues dans la partie (1) sont introduites par un long énoncé qui exprime, d'une manière très complexe, l'idée que la mort de l'homme résulte de la volonté et de l'assentiment de Dieu, prérogatives dont il dispose en tant que créateur du genre humain. Les idées de ce type apparaissent assez fréquemment dans les épitaphes nubiennes, toujours en même position, au début de l'inscription, et prennent le plus souvent la forme d'une des formules stéréotypées: qei/# pronoi/# (cf. supra, no. 105, l. 1), qeou= qe/lontoj, neu/sei kai\ boulh/sei tou= qeou= (cf. supra, no. 106, l. 1), neu/sei kai\ keleu/sei tou= qeou= etc. On connaît aussi des énoncés plus longs qui rappellent aussi bien par leur forme que par leur contenu le passage de l'épitaphe de Thomas. Du point de vue formel, l'énoncé le plus proche est celui de l'épitaphe du moine Ioannes de Ghazali (S. Donadoni dans: Nubische Studien, Mainz 1986, p. 225): tou= pantok[ra/t]wroj q(eo)u= to\[n p]ropa/twra h(m(w=n) )Ada\[m] pla/santoj (kai\) qe/lontoj meteqei=n e)k tou=de bi/ou (kai\) paralabei=n ei)j th\(n) au)tou= basilei/an to\n ... )Iwa/nnhn pres(bu/teron) ktl.

1.         À notre connaissance, le verbe pantodunamo/w est attesté ici pour la première fois, bien que le grec connaisse l'adjectif pantodu/namoj. L'emploi du participe de l'aoriste à la place de l'adjectif s'explique peut-être par des raisons euphoniques: les participes de l'aoriste apparaissent dans les lignes 3-5 pour décrire l'activité créatrice de Dieu.

2-5.La description de la création de l'homme par Dieu dans le texte de l'inscription est basée sur la littérature biblique et patristique. Le récit renvoie à Gen. 2,7: kai\ e)/plasen o( qeo\j to\n a)/nqrwpon xou=n )po\ th=j gh=j kai\ e)nefu/shsen ei)j to\ pro/swpon au)tou= pnoh\n zwh=j, kai\ e)ge/neto o( a)/nqrwpoj ei)j cuxh\n zw=san. Souvent exploité dans la littérature paléochrétienne, ce passage de la Bible a subi de nombreuses modifications qui, sur le plan lexical, l'ont petit à petit rapproché de la forme qu'il revêt dans l'épitaphe de Thomas; cf. en particulier: Origenes, I 10 (in Jer.), PG XIII, p. 265 D (o(/te de\ e)/labe xou=n )po\ th=j gh=j ou) pepoi/hke to\n a)/nqrwpon )ll¡ e)/plase to\n a)/nqrwpon); liturgie de St Basile, Brightman, Liturgies, p. 34 (pla/saj ga\r to\n a)/nqrwpon xou=n labw\n )po\ th=j gh=j); Joannes Damascenus, Homilia in sabbatum sanctum 25, PG XCVI, p. 620 (o( t%= )Ada\m e)mfush/saj pneu=ma zwh=j kai\ poih/saj au)to\n ei)j cuxh\n zw=san). Il est difficile de dire si le récit de la création de l'homme par Dieu, tel qu'il apparaît dans l'épitaphe de Thomas, a été rédigé par l'auteur de l'épitaphe avec recours à des citations empruntées à des textes plus anciens ou si le rédacteur l'a puisé tel quel dans une source difficile à identifier. Il est à noter que la composition de l'ensemble du fragment repose sur le principe du chiasme où les instruments de Dieu (to\ sto/ma, afl xei=rej) sont présentés en ordre inverse que les actes accomplis au moyen de ces instruments (pla/ssw,e)mfu/w).

À la ligne 3 on attendrait plutôt labo/ntoj au lieu de labw\n. Il s'agit très vraisemblablement d'une reprise automatique du texte de source par le rédacteur de l'inscription (cf. xou=n labw\n )po\ th=j gh=j dans la liturgie de St Basile).

L'adjectif « immaculé » qualifiant les mains de Dieu n'est pas employé dans le récit biblique de création de l'homme (voir supra). Il apparaît par contre dans le récit du partage de pain par Jésus pendant la cène, cité dans les textes liturgiques (mais non pas dans les évangiles); cf. p.ex. liturgie de St Marc (R.-G. Coquin, Le Muséon 82 [1969], p. 331): a)/rton labw\n e)pi\ tw=n a(gi/wn kai\ )xra/ntwn kai\ )mw/mwn au)tou= xeirw=n.

L'expression pneu=ma zwh=j a été empruntée à la Septante; cf. Gen. 6, 16 et 7, 15.

6.         La forme METEQH est difficile à expliquer. Il est très probable qu'il s'agit ici de la forme tardive, non classique, de l'infinitif de l'aoriste actif du verbe metati/qhmi (metaqei=n) avec l'augment conservé, l'omission du « n» final et la substitution du « h » à « ei». metaqei=n apparaît, avec augment conservé (meteqei=n), dans l'épitaphe du moine Ioannes de Ghazali citée plus haut. Il existe une autre lecture possible de ce passage, à savoir: mete<te/>qh.

Le tumulte de ce monde (qoru/boi) dont seule la mort peut libérer l'homme est un motif fréquent de la liturgie funéraire de l'Église byzantine; cf. Goar, EUXOLOGION, p. 461: qei/# prosta/jei sou meth=lqe tw=n tou= bi/ou qoru/bwn. Inspiré peut-être par la liturgie funéraire, le même motif apparaît dans une épitaphe chrétienne de Smyrne, I.K. 23 [Smyrna I], 571: feu/ge]in?? tou= bi/ou tou\j qoru/bouj k(ai\) pro\j e)?ki/naj u)ki= skina\j k(uri/o)u. On le retrouve aussi dans trois épitaphes coptes de Nubie; deux d'entre elles viennent de Ghazali (J. W. B. Barns dans: P. L. Shinnie, H. N. Chittick, Ghazali. A Monastery in the Northern Sudan [= Sudan Antiquities Service Occasional Papers 5], Khartoum 1961, nos. 62 et 64), la provenance de la troisième est inconnue (cf. J. van der Vliet, Catalogue des inscriptions coptes du Musée Soudanais de Khartoum, no. 123 [en préparation]). Toutes ces épitaphes contiennent dans la partie initiale du texte la formule: « Notre cher frère XX a quitté la vie (bi/oj) pleine de troubles et s'est rendu auprès du Christ bien-aimé » .

Dans la terminologie chrétienne, ti/mioj est une épithète qualifiant la croix (o( ti/mioj stauro/j). Elle est rarement employée pour qualifier les défunts, sinon dans les épitaphes métriques; cf. p.ex. C. W. M. Cox dans: Anatolian Studies Presented to Wiliam Hepburn Buckler, Manchester 1939, p. 63-66 (épitaphe métrique de Héortasios, évêque d'Appia).

8-9.Sur l'usage dans les épitaphes de Nubie de date annuelle donnée selon différents systèmes de calcul, voir commentaire de l'inscription 106, ll. 5-6. L'année de la mort de Thomas est donnée, dans l'ordre, selon le système des indictions, selon l'ère alexandrine depuis la création du monde, selon l'ère alexandrine depuis la naissance de Jésus et selon l'ère de Dioclétien. Ces données sont en partie contradictoires: avec la date du jour, l'indiction et l'année selon l'ère de Dioclétien donnent, selon notre calcul du temps, la date du 29 avril 799, les années selon les deux ères alexandrines - celle du 29 avril 798. La plus vraisemblable semble la première de ces dates. L'erreur dans le calcul des années selon les deux ères alexandrines s'explique par le fait que le rédacteur a automatiquement répété les chiffres de l'année passée qui, pour les deux ères, s'était achevée le 24 mars, donc dans un passé relativement récent.

L'année selon l'ère depuis la création du monde (6290) est transcrite en mots pour les millésimes et les centaines et en chiffres pour les dizaines. Une trans-cription semblable figure dans les inscriptions chrétiennes de Syrie septentrionale: IGLSyrII 538 (de Dâr Qîta): tou= teta/rtou fÄ (scil. e)/touj) et 564 (de Bâbisqa): e)/tou tetra/tou (= teta/rtou) cÄ et aussi dans la dédicace de la mosaïque de l'église de Khirbet Bata (Carmiel) en Palestine, V. Tzeferis, ‘Atiqot 21 (1992), p. 129-134: e)/touj h)nonikostou= (sic) fÄ.

L'expression )po\ e)pidhmi/aj Xristou= indiquant le nombre d'années depuis la naissance de Jésus apparaît peut-être une seule fois encore dans une autre épitaphe du Vieux Dongola, voir infra no. 114. En règle générale, pour donner le chiffre d'années selon l'ère depuis la naissance de Jésus on utilisait l'expression )po\ Xristou=. Dans d'autres régions du monde chrétien d'Orient on utilisait à cette fin la tournure th=j qei/aj e)nsarkw/sewj; cf. Grumel, Chronologie, p. 222-223.

10-11.L'invocation qui ouvre la prière k(u/ri)e o( q(d)j tw=n pn(eum)d (kai\) pa/shj sarko/j apparaît, à l'exception de ku/rie initial au début de la prière pour le défunt désignée dans le présent catalogue comme prière du type Euchologion Mega; sur cette prière, voir le commentaire de l'inscription 109. Sa source primitive se trouve sans aucun doute dans Num. 16, 22. Les deux autres invocations représentent peut-être la version abrégée de 2 Cor. 1, 3: eu)loghto\j o( qeo\j kai\ path\r tou= kuri/ou h(mw=n )Ihsou= Xristou=, o( path\r tw=n oi)ktir-mw=n kai\ qeo\j pa/shj parakle/sewj.

12-13.Il s'agit de la citation de Sap. 9, 4: mh/ me )podokima/s$j e)k pai/dwn sou. La même citation apparaît dans une version légèrement modifiée dans la liturgie de St Basile, dans la prière dite tw=n xeroubikw=n (Brightman, Liturgies, p. 318): mh\ )postre/c$j to\ pro/swpo/n sou )p¡ e)mou= mhde\ )podokima/s$j me e)k podw=n sou )lla\ prosenexqh=nai soi ta\ dw=ra tau=ta. Dans la phrase de l'épitaphe de Thômas il manque le complément d'objet direct. Le rédacteur du texte a très vraisemblablement omis le me du texte biblique afin de rendre celui-ci conforme à la syntaxe de l'épitaphe mais il a oublié d'introduire le au)to/n correcte.

15-17.Il s'agit de la citation des paroles de l'hymne de la victoire que le défunt doit chanter en compagnie des saints. La première partie de cet hymne - eu)loghme/noj o( e)rxo/menoj e)n o)no/mati kuri/ou: ...sanna\ e)n toi=j u(ci/stoij - est une re-prise des exclamations adressées par la foule à Jésus, à son entrée à Jérusalem; cf. Matthieu 21,9 et aussi, dans une autre version, Marc 11,9-10 et Jean 12, 13. Cette exclamation, qui vient du Ps. 117, 26 est appelé e)pini/kioj u(/mnoj par les auteurs paléochrétiens; cf. p.ex. Athanasius, Sermo de ramos palmorum 4, 3 (ed. H. Nordberg, Athanasiana I, Helsinki 1962): kai\ ofl me\n proporeuo/menoi ofl de\ )kolouqou=ntej e)/krazon toi=j )peiroka/koij paisi\n e)pini/kio/n tina u(/mnon le/-gontej: w= ...sanna\ t%= ufl%= Daui/d, eu)loghme/noj o( e)rxo/menoj e)n o)no/mati ku-ri/ou, ...sanna\ e)n toi=j u(ci/stoij». Elle est souvent employée dans les liturgies orientales, p. ex. dans la liturgie de St Basile et de St Jean Chrysostome (Brightman, Liturgies, p. 324).

[A.Ł.]


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