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47. DÉDICACE À DIVERS DIEUX POUR LE ROI PTOLÉMÉE VIII ÉVERGÈTE II, SES DEUX ÉPOUSES ET LEURS ENFANTS, FAITE PAR PTOLÉMAIOS ET TRYPHÔN

Département de l'Art antique, inv. 198728. Le monument porte deux autres numéros d'inventaire: à l'encre rouge en petites lettres, le numéro barré « 198781 MN » et, à l'encre noir en grandes lettres, le numéro « Inv. A2 ». Le premier est celui du Musée National de Varsovie, fait sans doute par erreur; l'autre, selon toute vraisemblance, doit être lié à l'ancien propriétaire de la pierre (Lyceum Hosianum à Braunsberg).

Lieu et contexte de la découverte inconnus. Anciennement dans la collection du Lyceum Hosianum à Braunsberg, depuis 1947 au Musée National de Varsovie. Les informations relatives au sort du monument contenues dans l'editio princeps (une collection allemande inconnue) sont fausses. La pierre provient très vraisemblablement de Coptos en Haute Égypte (voir infra).

Calcaire gris. Plaque; h. 25 cm, l. 48 cm, ép. 7 cm; petites ébréchures des arêtes en haut au centre de la plaque et au bas du côté gauche. Gravure lisible mais peu soignée. Les quatre premières lignes légèrement déplacées à gauche par rapport aux autres lignes; deux étoiles l'une à côté de l'autre à la l. 4 séparent les noms du roi et des reines des noms des dédicants; une étoile à la l. 7 entre la date et la mention du roi et des reines; le sigle L pour e)/toj dans les lignes 7 et 13; dans la ligne 7 «h» du numéral «hl» corrigé du sigle L (cf. commentaire ad loc.); les lettres ALHCINKAIK à la l. 8 semblent avoir été écrites sur un texte plus ancien martelé. Alpha à barre brisée, thêta en forme de cercle avec un point au milieu, traits extérieurs du mu obliques, omicron plus petit que les autres lettres, hastes verticales du pi de longueur égale. H. des lettres: 0,7 - 1,5 cm.

D'après la pierre à Varsovie, A. Łajtar, « Kontakty Egiptu z Afrykąrównikową w II. w. p.n.e. Nieopublikowana inskrypcja grecka w Muzeum Narodowym w Warszawie» («Contacts entre l'Égypte et l'Afrique équatoriale au II s. av. notre ère. Une inscription inédite du Musée National de Varsovie »), Światowit 41 (1998), p. 49-60. D'après la pierre à Varsovie, A. Łajtar, « Die Kontakte zwischen Ägypten und dem Horn von Afrika im 2. Jh. v. Chr. Eine unveröffentlichte griechische Inschrift im Nationalmuseum Warschau », JJP 29 (1999), p. 51-66 avec photo.

Cf. A. Łajtar, ZPE 125 (1999), p. 157, no. 50. J. Bingen, Bull. épigr. 1999, 713 (sur la publication de Łajtar dans JJP 29).

30 octobre 133 av. J.-C., d'après la date régnale.

u(pe\r basile/wj Pt?olemai/ou kai\ basili/sshj

Kleopa/traj th=j a)delfh=j kai\ basili/sshj

Kleopa/traj th=j gunaiko\j qew=n Eu)ergetw=n

4       kai\ tw=n te/knwn ** Ptolemai=oj kai\ Tru/fwn

tw=n a)rxiswmatofula/kwn kai\ a)rxiqurwrw=n

kai\ ei)saggele/wn oi( a)postale/ntej

e)n tw=i hl / (e)/tei) * u(po\ tou= basile/wj kai\ tw=n

8       basilissw=n e)pi\ th\n para/lhcin kai\ katakomidh\n

tw=n parakekomisme/nwn pa/ntwn e)k th=j

)Aromatofo/rou jeni/wn Dii\ Swth=ri Sara/pidi,

)/Isidi Mega/l$ Mhtri\ Qew=n, ÑArpoxra/tei, Pani\

12     Eu)o/dwi, Kro/n%, Dionu/swi, Dioskou/roij, ÑHraklei=

Kallini/kwi uuu (e)/touj) lh /, Faw=i) e(/kt$.

13. Kalli/nikwi Łajtar dans JJP 29 (1999) (bévue) | e(/kth Łajtar dans JJP 29 (1999)

Pour le Roi Ptolémée et la Reine Cléopâtre la sœur et la Reine Cléopâtre l'épouse, Dieux Bienfaiteurs et pour leurs enfants, Ptolémaios et Tryphôn, des gardes du corps en chef, des portiers en chef et des chargés de la réception, envoyés dans la 38 année par le Roi et les Reines pour la réception et le transport de tous les dons apportés de la terre des aromates, à Zeus Sauveur-Sarapis, à Isis la Grande Mère des Dieux, à Harpocratès, à Pan de la bonne route, à Cronos, à Dionysos, aux Dioscures, à Héraclès de la belle victoire. L'an 38, le 6 Phaôphi.

L'inscription commémore la mission effectuée par ordre des souverains (cf. l. 6 )postale/ntej) par deux fonctionnaires auliques dans la 38e année du règne de Ptolémée VIII Évergète II. L'expédition avait pour objectif la réception et le transport à Alexandrie de produits venus de la région du golfe d'Aden. Elle eut lieu au début de la 38e année du règne de Ptolémée VIII, donc fin septembre - octobre 133 av. J.-C. Les événements se seraient probablement déroulés ainsi: les deux hommes auraient quitté Alexandrie profitant de la décrue du Nil. Ils devaient atteindre Coptos qui, depuis la période pharaonique jusqu'aux temps modernes, a servi de point de départ à toutes les expéditions commerciales égyptiennes visant la mer Rouge et, plus loin, l'angle de l'Afrique, la région appelée dans l'inscription h( )Arwma-tofo/roj - la «terre des aromates». Ils auraient parcouru cette distance en 25-30 jours environ; sur la durée du trajet Alexandrie-Thèbes dans l'Antiquité voir J. Schwartz, Rev. Arch. 37 (1951), p. 143-150; E. Van't Dack dans: ANRW II 1. [1974], p. 883; A. Łukaszewicz, Aegyptiaca Antoniniana. Działalność Karakalli w Egipcie (215-216) [Aegyptiaca Antoniniana. L'activité de Caracalla en Égypte (215-216), en polonais], Warszawa 1993, p. 157-158. Ils seraient restés sur place une dizaine de jours en supervisant la réception de produits arrivant par les chemins du désert des côtes de la mer Rouge et en organisant le transport de ces marchandises par voie fluviale, en aval du Nil. Au cas où notre reconstitution des événements serait exacte, les deux agents n'auraient pas eu le temps (dans le cadre des 36 jours de la 38e année du règne de Ptolémée VIII) de rentrer à Alexandrie. Tout porte donc à croire que l'inscription a été érigée à Coptos. Cette hypothèse est étayée par le choix des divinités dédicataires caractéristiques de Coptos (voir infra).

Il existe un document très proche de l'inscription du Musée National de Varsovie, à savoir l'inscription IPan 86 (lieu de la découverte inconnu, actuellement au Musée Gréco-Romain d'Alexandrie) dont voici le texte:

ÑUpe\r basile/wj Ptolemai/ou ka[i\]

basili/sshj Kleopa/traj th=j gunai[ko/j],

qew=n Eu)ergetw=n, kai\ tw=n te/knwn a[u)tw=n]

  • 4 Swth/rixoj )Ikadi/wnoj Gortu/nioj, tw=[n]

a)rxiswmatofula/kwn, o( a)postal-

me/noj u(po\ Paw=toj, tou= suggenou=j ka[i\]

strathgou= th=j Qhbai/doj, e)pi\ th\n sunag[w]-

8 gh\n th=j polut[e]lou=j liqei/aj kai\ e)pi\ tw=n

plw=n kai\ parejo/menoj th\n a)sfa/leian to[i=j]

katakomi/zousi a)po\ tou= kata\ Ko/pton o)/rou[j]

ta\ libanwtika\ forti/a kai\ ta)=lla ce/nia

12 Pani\ Eu)o/dwi kai\ toi=j a)/lloij qeoi=j

pa=si kai\ pa/saij, (e)/touj) ma /, Qw=q i /.

Un laps de trois ans à peine sépare les deux textes. Les deux commémorent une mission de nature semblable, au moyen d'expressions et de formules similaires. Les deux sont gravés sur des plaques rectangulaires aux dimensions rapprochées et leur paléographie est quasi identique (cf. IPan, pl. 70 avec la photographie de l'inscription no. 86). Compte tenu de toutes ces ressemblances, il y a lieu de penser que les deux monuments sont issus d'un même centre où ils auraient été dressés l'un à côté de l'autre dans un sanctuaire. Tout porte à croire qu'il s'agit de Coptos et que le sanctuaire en question était le Panéion de Coptos.

La confrontation de l'inscription conservée actuellement à Varsovie avec IPan, no. 86 permet de formuler quelques conclusions de nature générale concernant le commerce entre l'Égypte et les régions du Sud vers le milieu du II s. av. J.-C. Tout d'abord, les expéditions commerciales en Afrique orientale commémorées par les deux textes présentent un caractère officiel: la mission de Ptolémaios et Tryphon fut effectuée par ordre des souverains; Ikadion exécute l'ordre du stratège de la Thebaïde qui, de son côté, comme un des plus importants fonctionnaires du royaume, devait agir avec le consentement du roi, voire par son ordre. Ensuite, dans les deux inscriptions, les marchandises venues du Sud sont désignées du terme ce/nia, c'est-à-dire « dons de l'amitié ». En effet, dans la terminologie officielle du royaume des Ptolémées, très vraisemblablement sous l'influence de l'ancienne idéologie pharaonique, les marchandises que l'on faisait venir de l'étranger et qui étaient destinés au roi étaient considérées comme des dons; plus largement à ce sujet cf. commentaire ad loc. Et enfin, les deux inscriptions furent érigées au début de l'automne. Cette coïncidence, qui n'est certainement pas fortuite, reflète le caractère cyclique des expéditions égyptiennes dans le Sud organisées en fonction des vents particuliers, typiques de la partie méridionale de la mer Rouge et du golfe d'Aden. En effet, au printemps et en été, on observe dans cette région la présence permanente d'un vent du nord-ouest alors qu'à l'automne et en hiver prédomine le vent du sud-est. Ce qui veut dire que les traversées à partir des ports égyptiens de la mer Rouge vers le golfe d'Aden ne pouvaient s'effectuer dans des conditions de navigation favorables qu'au printemps et en été, tandis que le retour se faisait uniquement à l'automne ou en hiver. L'expédition mentionnée dans l'inscription de Varsovie serait donc partie d'un port égyptien vers la «terre des aromates» soit au printemps soit en été 133, alors que celle du texte du Musée d'Alexandrie serait partie au printemps ou en été 130. Les deux expéditions seraient reparties à la fin du mois de septembre pour atteindre les ports égyptiens vers la mi-octobre. Là, les marchandises ont sans doute été chargées à dos d'ânes ou de chameaux et la caravane, en empruntant des chemins à travers le désert, s'est dirigée vers Coptos où, au bout de quelques jours, elle était accueillie par les agents du roi. Au moment où Ptolémaios et Tryphôn faisaient ériger leur inscription, donc le 30 octobre, leur mission était terminée car ils avaient déjà réexpédié les marchandises.

1-4.Le protocole royal est au nom de Ptolémée VIII Évergète et de ses deux épouses: Cléopâtre II, qui était sa soeur, et Cléopâtre III, la fille de cette première, désignée ici comme épouse. Le terme «enfants» désigne la progéniture des deux épouses de Ptolémée VIII. Le moment de l'érection de la dédicace précède de peu la révolte de Cléopâtre II contre son époux (131-129 av. J.-C.) lors de laquelle Ptolémée VIII, résidant à Chypre, donna l'ordre d'assassiner leur unique fils - Ptolémée Memphitès. La 38 année de règne de Ptolémée VIII mentionnée à la ligne 7 correspond à la période du 25 septembre 133 au 24 septembre 132 av. J.-C. L'indication du jour donnée à la ligne 13 correspond au 30 octobre 133 av. J.-C.

4-6.Les auteurs de la dédicace, Ptolémaios et Tryphôn, sont inconnus par ailleurs. Ils ne se laissent identifier avec certitude à aucun des hommes portant le nom Ptolémaios et Tryphôn répertoriés dans la Prosopografia Ptolemaica.

Sur le titre aulique a)rxiswmatofu/laj (tw=n a)rxiswmatofula/kwn) - « garde du corps en chef» («des gardes du corps en chef»), cf. L. Mooren, La hiérarchie de la cour ptolémaïque. Contribution à l'étude des institutions et des classes dirigeantes à l'époque hellénistique [= Studia Hellenistica 23], Leuven 1977, p. 36; idem, The Aulic Titulature in Ptolemaic Egypt. Introduction and Prosopography [= Verhande-lingen van de Koninklijke Academie voor Wetenschappen, Letteren en Schone Kunsten van België. Klasse der Letteren 78], Brussel 1975, p. 219-223: liste des personnes connues portant le titre aulique ı a)rxiswmatofu/laj et tw=n a)rxiswmatofula/kwn. Dans le cas étudié, le titre en question est attaché à la fonction aulique d'ei)saggeleu/j exercée par les deux dédicants; cf. A. Łajtar, op. cit., com-mentaire ad loc. a)rxiqurwro/j = « portier en chef », est une des fonctions à la cour des Ptolémées à Alexandrie. Elle pouvait être exercée réellement ou revêtir uniquement un caractère honorifique. Dans le cas étudié, il s'agit très vraisemblablement d'une fonction honorifique, car Ptolémaios et Tryphon occupaient en réalité le poste d'ei)saggeleu/j; cf. A. Łajtar, op. cit., commentaire ad loc. Outre l'inscription de Varsovie, on ne connaît que trois sources qui mentionnent la fonction aulique d'a)rxiqurwro/j, les deux autres étant: 1) inscription très endommagée d'Alexandrie, Breccia, Iscrizioni, no. 140, datée d'après la paléographie de la seconde moitié de la période ptolémaïque; 2) P. Tebt. III 790 de la période 127/6-124 av. J.-C. Le stratège du nome arsinoïte Arcas mentionné dans ce papyrus occupait la charge d'a)rxiqurwro/j honoris causa, tout comme Ptolémaios et Tryphon de notre inscription.

Le terme ei)saggeleu/j désigne un fonctionnaire aulique chargé d'introduire les invités dans la salle d'audience et de faire des présentations auprès du roi. Les ei)saggelei=j sont fréquemment attestés à la cour de souverains hellénistiques et à celle de certains hauts fonctionnaires. Quant à la cour ptolé-maïque, on connaît sept personnes ayant tenu ce poste; leur liste dans: Moo-ren, The Aulic Titulature in Ptolemaic Egypt, nos. 0299-304, 0356. L'étude des sources mentionnant les ei)saggelei=j nous amène à conclure que cette fonction soit était exercée réellement soit revêtait un caractère purement honorifique. Selon toute vraisemblance, Ptolémaios et Tryphon de notre inscription étaient de véritables ei)saggelei=j. À l'époque où ils occupaient leur fonction (fin des années trente du II s. av. J.-C.), celle-ci était indissociable du titre aulique d'a)rxiswmatofu/laj; cf. A. Łajtar, op. cit., commentaire ad loc.

7.         Dans la date, le lapicide voulait d'abord graver e)n tw=i (e)/tei) hl /, puis, après avoir gravé L (= e)/tei), il décida d'intervertir l'ordre des éléments et corrigea L en «h». Il est à noter que dans le numéral « 38 » les chiffres sont intervertis (alors qu'à la ligne 13 l'ordre est normal). La différence vient sans doute du fait que dans le premier cas le numéral est un élément syntaxique et dans l'autre non. La transcription e)n tw=i hl / (e)/tei) ne serait dans cette situation qu'une reprise automatique de la façon de rendre les ordinaux à l'oral: e)n tw=i Ùo)gdo/%kai\ triako/st% (e)/tei). Une telle situation semble se reproduire dans SB XIV 11705 (document du temps de Caracalla) où, à trois reprises, dans les lignes 19, 23 et 25, l'année du règne de l'empereur est transcrite de la manière suivante: (e)/touj) bÄ kai\ kÄ. Il faut cependant noter que dans les documents d'Égypte, la transcription des numéraux, aussi bien ordinaux que cardinaux, dans l'ordre inverse est extrêmement rare; pour les généralités à ce sujet, avec une liste d'exemples, voir T. Derda, P. Naqlun I, p. 132-133; A. Łajtar, JJP 25 (1995), p. 75. Il est intéressant de remarquer que cette transcription « intervertie » des chiffres du numéral se retrouve dans un autre document daté de la 38 année du règne de Ptolémée VIII, à savoir dans P.UB Trier B, l. 2: (e)/touj) hl /; cf. B. Krämer, AfP 43 (1997), p. 330.

8.         Les termes para/lhcij et katakomidh/ étaient souvent associés dans le langage administratif de l'Égypte gréco-romaine. Ils désignaient la collecte de différents biens, y compris d'impôts en nature, et leur transport par voie fluviale en aval du Nil à Alexandrie. C'est ce sens qu'ils ont dans les rapports des sitologues du II ap. J.-C.; cf. p.ex. P. Flor. III 358 (ÑHraklei/[d]hj kai\ toi=j su\n au)tw=i proxir[i]sqi=sei (sic) pro\j para/lhmc[in] k[ai\] katakomidh\n bibli/wn pem[p]wme/nwn (sic) ei)j )Aleca/nd(reian) ktl.); de même dans P. Amh. 69 et P. Princ. 127. L'inscription de Varsovie constitue le plus ancien témoignage connu de nos jours de l'emploi de ces termes.

10.       Quant à la « terre des aromates » (gr. h( )Arwmatofo/roj [scil. xw/ra]), de sa topographie et de ses relations avec la région de la Méditerranée cf. W. Tomaszek, RE II [1896], col. 1210-1212, s.v. « )Arwmatofo/roj xw/ra»; J. Désanges, « Le littoral africain du Bab el-Mandeb d'après les sources grecques et latines», Annales d'Ethiopie 11 (1978), p. 83-101; J. Désanges, M. Reddé, « La côte africaine du Bab el-Mandeb dans l'antiquité » dans: Hommages à Jean Leclant III [= Bibliothèque d'Étude 106.3], Le Caire 1994, p. 161-186; A. Manzo, Culture ed ambiente. L'Africa nord-orientale nei dati archeologici e nella letteratura geografica ellenistica [= A.I.O.N. Supplemento 87, vol. 56 (1996), fasc. 2], Napoli 1996, plus particulièrement chapitre I: « Le Notizie dei geografi ellenistici concernanti l'Africa nord-orientale ». Le toponyme h( )Arwmatofo/roj n'a été jusqu'à présent attesté que par deux sources: 1) Strabon, XVI 4, 14 où l'auteurcite l'écrivain géographique Artémidore d'Éphèse (vers l'an 100 av. J.-C.); dans XVI 4, 4 Strabon appelle cette même contrée h( Smurnafo/roj (d'après Ératosthène); 2) papyrus de Berlin SB III 7169 (vers le milieu du II s. av. J.-C.) qui contient le texte d'un contrat de prêt sur dépôt de marchandises passé entre marchands alexandrins et propriétaires de bateaux desservant ei)j th\n )Arwmatofo/ron; sur ce papyrus voir informations exhaustives dans U. Wilcken, « Punt-Fahrten in der Ptolemäerzeit », ZÄS 60 (1925), p. 86-102. Selon Artémidore, h( )Arwmatofo/roj occupait une partie du littoral nord-est africain entre le cap Deirh/ (littéralement « cou ») au nord et No/tou ke/raj à l'est; Érathosthène situe la limite nord de cette contrée aux environs du groupe de six petites îles à proximité du plus étroit passage entre l'Afrique et l'Arabie. Dans la littérature de la question, le cap Deirh/ a été identifé de maintes façons. Selon les dernières études de J. Désanges et M. Reddé, Deirh/ doit être identifié à Ras Siyyan, sur le territoire de l'actuel Djibouti; les six îles d'Ératosthène correspondent à un groupe d'îles appelées Sawabia (littéralement « sept frères »), à l'est de Ras Siyyan. No/tou ke/raj peut être identifié avec certitude à Ras Asir (Cap Guardafui) en Somalie, l'extrême est africain.

La «terre des aromates» devait donc s'étendre sur tout le littoral sud du golfe d'Aden. Trois régions formaient cette contrée, dont la première fournissait la myrrhe, la deuxième l'encens et la troisième la cannelle. On y trouvait aussi d'autres plantes rares et recherchées (persées, mûriers) et des animaux exotiques (éléphants). La « terre des aromates » était peuplée d'Ichthyophages et de Kréophages.

Le terme ce/nia = « dons de l'amitié » apparaît aussi dans l'inscription Pan du désert 86 où il désigne des marchandises, y compris l'encens, acheminées par voie terrestre, à travers le désert, à Coptos; pour le texte voir supra. La leçon ce/nia paraissait tellement singulière que les anciens éditeurs de l'inscription IPan 86 ont remplacé ce/nia par ceni<k>a/ = «marchandises de pays étrangers »; ainsi p.ex. U. Wilcken, AfP 3 (1906), p. 325, mais aussi E. Breccia, Iscrizioni, no. 37a. Cependant, cette correction n'est pas nécessaire, car l'expression ce/nia s'explique parfaitement bien par la théorie anthropologique du don. En effet, dans les sociétés préindustrielles, parmi lesquelles il faut compter aussi bien la société ptolémaïque que les sociétés tribales du nord-est africain, la distribution de biens revêt souvent la forme d'échange de dons. L'échange de dons joue dans ces sociétés un double rôle: 1) il répond à la demande de différents produits; 2) il contribue à renforcer les liens sociaux entre les parties concernées. Les échanges peuvent s'effectuer dans le cadre d'une même société ou à l'échelle « internationale », bien souvent entre les organismes qui ne maintiennent pas de contacts politiques directs. Dans le second cas, l'échange de dons devient plutôt une technique d'acquisition de biens nécessaires. L'aspect économique l'emporte sur l'aspect social qui perd en importance sans pourtant être complètement éliminé, même si le mot « don » appartient plus à la phraséologie qu'à l'expression de la réalité économique. L'inscription conservée au Musée National de Varsovie ainsi que celle d'Alexandrie montrent bien que les marchandises importées par les Ptolémées d'Afrique orientale portaient dans la terminologie officielle le nom de « dons de l'amitié », même si entre les partenaires de ces échanges il n'existait point de contacts politiques. Sans doute les peuples installés en Afrique orientale désignaient-ils d'un terme analogue les produits venus d'Égypte. Il faut mettre l'accent sur le fait que, du côté égyptien, l'instance qui organise les expédi-tions visant l'acquisition de je/nia, et donc leur principal destinataire, est dans les deux cas le roi qui agit soit directement (inscription de Varsovie), soit par l'intermédiaire de ses plus hauts fonctionnaires (inscription d'Alexandrie). Les ce/nia envisagés de ce point de vue rappellent de près l'institution dite inj connue de l'Égypte pharaonique. Le inw peut être défini comme don officiel échangé entre le roi égyptien et un particulier, indépendamment du statut de cette personne par rapport à l'institution royale. Le terme inw désignait entre autres les « tributs » que les princes asiatiques remettaient au pharaon à l'époque de la 18e dynastie et les marchandises que l'expédition organisée par la reine Hatshepsout fit venir du pays de Punt. Il est bien probable que, dans tout ce qui concerne les échanges commerciaux avec le Sud, les rois ptolémaïques prenaient l'exemple sur leurs prédécesseurs, les pharaons. Plus largement au sujet des j°nia dans le contexte de la théorie anthropologique du don et sur d'éventuels rapports entre les ce/nia et le inw, voir A. Łajtar, op. cit., p. 63-64.

10-14.Il est très probable que Zeus Sôter a été identifié dans ce texte avec Sarapis. Si c'était le cas, la liste des dieux dédicataires s'ouvrirait par les divinités officielles, notamment la triade familiale composée de Sarapis (identifié avec Zeus), d'Isis (identifiée avec Grande Mère des Dieux) et d'Harpocrate. Au cas où notre hypothèse serait juste, l'inscription de Varsovie constituerait l'unique témoignage de l'identification de Sarapis avec Zeus connu de l'Égypte ptolémaïque. Il s'agirait en même temps du plus ancien témoignage de l'identification de Sarapis avec Zeus connu du monde hellénistique. Jusqu'à présent, la plus ancienne preuve de l'identification des deux divinités était fournie par l'inscription de Délos datée de 112/1 av. J.-C., ID 2152 = P. Roussel, Les cultes égyptiens à Délos du III au I siècle av. J.-C., Nancy 1916, no. 126. Répandue au Ier s. av. J.-C. (cf. Diodore I 25), l'identification de Sarapis avec Zeus fut très populaire sous l'Empire, ce dont témoignent de nombreuses sources; cf. p.ex. J. E. Stambaugh, Sarapis under the Early Ptolemies [= Études Préliminaires aux Religions Orientales dans l'Empire Romain 25], Leiden 1972, p. 83-84.

Mega/lh Mh/thr Qew=n désigne Déméter/Cybèle. Il est quasi certain que cette déesse a été identifiée ici avec Isis, car si les deux déesses avaient dû apparaître comme deux personnages distincts, Harpocrate aurait été, d'une ma-nière incompréhensible, séparé de ses parents, Sarapis et Isis. Assez fréquente dans l'Égypte ptolémaïque, l'identification d'Isis avec Déméter/Cybèle est possible grâce à la nature très rapprochée des deux divinités, toutes deux protectrices de la fécondité et de la maternité. Le culte d'Isis - Grande Mère des Dieux, joue un rôle particulièrement important au temps de Ptolémée VIII Évergète II. En effet, cette déesse syncrétique était alors identifiée avec la seconde épouse du roi, Cléopâtre III; cf. P. M. Fraser, Ptolemaic Alexandria I [1972], p. 21; Fr. Collin, « L'Isis «dynastique» et la mère des dieux phrygienne. Essai d'analyse d'un processus d'interaction culturelle », ZPE 102 (1994), p. 271-295.

Quant à la graphie ÑArpoxra/thj (avec «x»), cf. J. Vergote, Les noms propres du P. Bruxelles Inv. E. 7616. Essai d'interprétaion [= Papyrologica Lugduno-Batava 7], Leiden 1954, p. 8. Elle est plus proche de l'original égyptien (h.r-p3-hrd) que la version avec «k» et semble n'avoir aucune nuance dialectale. La graphie ÑArpoxra/thj est attestée surtout pour la période hellénistique.

Pour le culte des Dioscures dans l'Égypte gréco-romaine, cf. W. Freiherr von Bissing, « Il culto dei Dioscuri in Egitto », Aegyptus 33 (1953), p. 347-357; idem, « Der Kult der Dioskuren in Ägypten », München 1954; IFayoum I, no. 74 (commentaire). Ce culte était très répandu, mais les jumeaux divins étaient surtout vénérés comme protecteurs des voyageurs, de ceux qui entreprenaient des traversées maritimes ou des voyages sur le Nil. On sollicitait aussi leur soutien en toute situation de danger sur terre ferme.

Pan est le nom grec du dieu égyptien Min; pour les généralités sur Min, voir

R. Gundlach, LÄg IV [1982], col. 136-140, s.v. « Min ». Min était une divinité protectrice de deux cités en Haute Égypte, sur la rive est du Nil: Panopolis (Akhmîm) et Coptos (Qift); pour le culte de Min à Coptos, cf. Cl. Trau-necker, Coptos. Hommes et dieux sur le parvis de Geb, Leuven 1992 p. 355-363. Il veillait entre autres sur des personnes qui devaient emprunter des chemins dangereux à travers le désert Oriental, d'où son épithète Euodos, « Celui qui assure la bonne route ». Comme Pan Eudos, il revient très fréquemment dans les graffiti (proskynemata) sur des rochers du désert Oriental. On notera que toutes ces inscriptions datent de la période ptolémaïque et du début de l'Empire (jusqu'au milieu du I s. ap. J.-C.). Plus tard, des soldats romains ont succédé aux divinités dans leur rôle de « gardiens » des chemins du désert; cf. H. Cuvigny, « Le crépuscule d'un dieu. Le déclin du culte de Pan dans le désert Oriental », BIFAO 97 (1997), p. 139-147, plus particulièrement p. 146.

Pour le culte de Dionysos dans l'Égypte ptolémaïque, voir P. M. Fraser, Ptolemaic Alexandria I [1972], p. 201-206. Dionysos était le dieu protecteur de la dynastie des Lagides. Ceux-ci ont porté ce culte de Macédoine en Égypte et l'ont développé de manière à faire apparaître, à travers Dionysos, leurs liens avec la famille royale des Argéades. D'autre part, on se rappelle que Ptolémée IV vénérait tout particulièrement Dionysos, et que Ptolémée XII était appelé Neos Dionysos. À la lumière de ces faits, il semble très peu probable que sous le nom de Dionysos se cache ici quelque dieu égyptien (Osiris ou une divinité locale).

Cronos est très vraisemblablement, par interpraetatio Graeca, le dieu égyptien de la Terre, Geb. Sur Geb voir H. te Velde, LÄg II [1977], col. 427-429, s.v. «Geb ». Geb, lui aussi, veille sur les voyageurs du désert, car, en tant que Maître de la Terre, il les protège contre les serpents qui y vivent. Geb-Cronos jouait un rôle important dans le panthéon de Coptos. Il y avait son temple, le Cronéion mentionné dans O. Tait 274 de 67 av. J.-C. Pour le culte de Geb-Cronos à Coptos, voir Traunecker, Coptos, p. 341-351; C. E. Holm, Griechisch-ägyptische Namenstudien, Uppsala 1936, p. 93-98 (étude basée surtout sur le matériel onomastique).

Sur Héraclès Kallinikos (« Héraclès de la bonne victoire »), pour les généralités, voir Adler, RE XX [1919], col. 1650-1652, s.v. « Kallinikos »; sur le culte d'Héraclès Kallinikos en Égypte cf. G. Wagner, BIFAO 73 (1973), p. 186-187; idem, « Le temple d'Héraklès Kallinikos et d'Ammon à Psobtis-el Qasr, métropole de la petite oasis (note de voyage à l'oasis de Baharieh, 18-25 janvier 1974)», BIFAO 74 (1974), p. 21-27; idem, Les oasis d'Égypte à l'époque grecque, romaine et byzantine d'après les documents grecs. (Recherches de papyrologie et d'épigraphie grecque) [= Bibliothèque d'Étude 100], Le Caire 1987, p. 339-341; IFayoum II, p. 45-46. Les témoignages égyptiens du culte d'Héraclès Kallinikos, en majeure partie épigraphiques, viennent pour la plupart des oasis du désert de Libye. Leur examen permet de conclure que sous ce nom apparaît le dieu égyptien de la Lune, Chonsu. Vénéré principalement à Thèbes, Chonsu, fils d'Amon et de Mut, avec qui il formait la triade thébaine, faisait aussi l'objet d'un culte individuel à Coptos; cf. Traunecker, Coptos, p. 351-355. Divinité bienveillante, il venait en aide à tous les nécessiteux, surtout aux malades. Héraclès Kallinikos apparaît aussi aux côtés d'Apollon Hylatès, d'Artémis Phosphoros, d'Artémis Euodia et de Léto Eutecnos dans la célèbre dédicace du dioikétès Apollonios provenant vraisemblablement de Coptos; cf. IPortes, no. 47. Seulement, dans cette inscription, Héraclès Kallinikos est sans aucun doute un dieu grec et non pas égyptien; cf. aussi L. Criscuolo [in:] H. Me-laerts (ed.), Le culte du souverain dans l'Égypte ptolémaïque au III siècle avant notre ère [= Studia Hellenistica 34], Leuven 1998, p. 70-71.

Les divinités auxquelles est adressée la dédicace se laissent répartir en trois groupes, mais certaines d'entre elles peuvent appartenir parallèlement à deux groupes: 1) divinités de l'État et divinités de la maison royale des Ptolémées (triade familiale à laquelle appartiennent Sarapis identifié avec Zeus Sôter, Isis identifiée avec Déméter/Cybèle et Harpocratès, Dionysos); 2) divinités protectrices auxquelles on fait appel en cas de danger, plus particulièrement en situation de voyage, aussi bien en mer qu'en terre ferme (Zeus Sôter-Sarapis, Min/Pan Euodos, Dioscures, Geb/Cronos, Chonsu/Héraclès Kallinikos); 3) di-vinités locales de Coptos (Min/Pan Euodos, Geb/Cronos, Chonsu/ Héraclès Kallinikos). On remarquera la prédominance des divinités protectrices qui sont en même temps les divinités locales de Coptos. Cette coïncidence, qui n'est certainement pas fortuite, s'explique bien d'une part par la nature de l'expédition, dont l'heureux aboutissement fut à l'origine de la dédicace, et, de l'autre, par l'emplacement présumé de l'inscription (voir supra). Le fait de mentionner en premier lieu les divinités officielles: Sarapis, Isis et Harpocratès, suivies de la divinité dynastique Dionysos, fut sans doute un geste de propagande de la part des auteurs de la dédicace qui voulaient ainsi mettre en évidence leur attachement à la maison royale.

[A.Ł.]


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