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48. DÉDICACE AU DIEU HARBAITHOS FAITE EN L'HONNEUR DE [THÉO]N PAR SON FILS THÉAGÉNÈS

Département de l'Art antique, inv. 198768.

Lieu et contexte de la découverte inconnus. Achetée avant 1912 par Ludwig Borchardt sur le marché des antiquités en Égypte pour la collection du Lyceum Hosia-num à Braunsberg (no. d'inv. 1161), depuis 1947 au Musée National de Varsovie. La pierre provient peut-être de Pharbaithos dans le Delta oriental.

Marbre blanc-bleu couvert de patine blanc crème. Plaque épaisse; h. 34,3 cm, l. 31 cm, ép. 8 cm; coin supérieur gauche retranché; petites ébréchures sur les arêtes. Les lignes 6-8 sont un peu avancées à droite par rapport à la marge gauche; lettres carrées; petits apices. Alpha à barre brisée, thêta en forme de cercle avec un point au milieu, traits extérieurs du mu obliques, traits du ksi ne se touchent pas, la haste droite du pi plus courte que la gauche. H. des lettres: 0,5 - 1,7 cm, h. moyenne d'interligne: 1,2 - 1,3 cm.

D'après la copie de Ludwig Borchardt avec notice selon laquelle la pierre se trouvait dejà à Braunsberg au moment de la publication, W. Schubart, Klio 12 (1912), p. 365-373, no. 1 (F. Preisigke, SB I 5021 et Nachtrag, p. 668; Ronchi, Lexicon theonymon 1 [1974], p. 147, s.v. ÑArbai=qoj). D'après la pierre à Braunsberg, W. Weißbrodt, Verzeichnis Braunsberg, Sommer-Semester 1913, p. 11, no. 6. D'après la pierre à Varsovie, A. Twardecki dans: XI Congresso Internazionale di epigrafia Greca e Latina, Roma 1999, p. 742. D'après la photographie, H. W. Pleket, SEG XLVII 2129. D'après la photographie, É. Bernand, IAlexPtol, no. 58, pl. 31.

Cf. M. N. Tod, JEA 1 (1914), p. 140 (sur la publication de Schubart). L. Robert, Rev. Arch. 1933, p. 139 = Op. Min. III, p. 1594 (sur la fonction d'e)pista/thj tou= cenikou= e)mpori/ou). H. I. Bell, Cults and Creeds in Graeco-Roman Egypt, Liverpool 1954, p. 62 (sur le dieu Harbaithos). K. Michałowski, Sztuka starożytna. Muzeum Narodowe w Warszawie, Warszawa 1955, p. 180 (seulement mentionnée). PP I 149 (sur la per-sonne honorée) et VI 14670 (sur Théagénès, auteur de la dédicace). J. Ijsewijn, De sacerdotibus sacerdotisque Alexandri Magni et Lagidarum eponymis [= Verhandelingen van de Koninklijke Vlaamse Akademie voor Wetenschappen, Letteren en Schone Kunsten van België, Klasse der Letteren 42], Brussel 1961, p. 96, sous no. 104 (sur la personne hono-rée). P. M. Fraser, Ptolemaic Alexandria II [1972], p. 115, note 23, p. 118, note 33 (sur le démotique alexandrin )Aqhnaieu/j) et p. 476, note 121 (sur l'expression pro\j th=i e)pistatei/ai). L. Mooren, The Aulic Titulature in Ptolemaic Egypt, no. 0179 (sur la personne honorée) et no. 0303 (sur Théagénès). L. Mooren, La hiérarchie de la cour ptolé-maïque, p. 158 (sur la date d'érection de l'inscription établie à partir de la titulature de la personne honorée). R. S. Bagnall, JEA 61 (1975), p. 178-179 (essai d'identification de Théagénès). J. Vélissaropoulos, Les nauclères grecs. Recherches sur les institutions maritimes en Grèce et dans l'Orient hellénisé [= Hautes études du monde gréco-romain 9], Genève-Paris 1990, p. 34 (sur la fonction d'e)pista/thj tou= cenikou= e)mpori/ou). A. Łajtar, JJP 27 (1997), fig. 2 après p. 28 (photographie). idem, ZPE 125 (1999), p. 157, no. 51 (bibliographie).

Env. 120 av. J.-C., d'après les données prosopographiques.

[Qe/w]na )Apollodw/rou )Aqhnaie/a to\n

[ge]no/menon e)n toi=j prw/toij i)/loij

k?ai\ e)pi\ tou= logisthri/ou tw=n nomar

4       xikw=n kai\ pro\j th=i e)pistatei/ai

tou= jenikou= e)mpori/ou

Qeage/nhj tw=n prw/twn i)/lwn kai\

tw=n e)fhmereuo/ntwn toi=j basileu=

8       sin ei)saggele/wn to\n e(autou= pate/ra

ÑArbai/qwi kai\ toi=j sunna/oij qeoi=j.

(Statue de) Théon, fils d'Apollodoros, du dème Athénaïs, ancien premier ami et préposé au bureau des comptes fiscaux des nomes et préposé à l'entrepôt de marchandises appartenant aux étrangers (érigée par) Théagénès, des premiers amis et des chargés de la réception qui sont toujours au service du roi, son fils, pour le dieu Harbaithos et les dieux qui sont dans le même temple.

1.         Préservée sur la pierre, la terminaison du nom de la personne honorée, l'accusatif [ ????? ]na, le nominatif [ ?]n, est trop équivoque pour permettre de restituer le nom uniquement à partir des formes grammaticales. Toute tentative de restitution doit donc s'appuyer sur l'identification des personnes mentionnées par l'inscription avec les personnages connus par d'autres sources, basée sur des critères prosopographiques. Un tel essai fut tenté par J. IJsewijn, op. cit., p. 96, au no. 104, qui identifie le père de la personne honorée par notre inscription, Apollodoros, avec Apollodoros prêtre du culte d'Alexandre en 173/2 av. J.-C. Comme le père de cet autre Apollodoros s'appelait Zénon, Ijsewijn avance l'hypothèse (justifiée par la pratique courante dans le monde antique de donner le nom du grand-père au petit-fils) selon laquelle l'homme honoré par notre inscription portait, lui aussi, le nom Zénon. Cette opinion est reprise, accompagnée d'un point d'interrogation, par Mooren, Aulic Titulature, no. 0179. Assez probable, l'hypothèse d'Ijsewijn ne se laisse pas cependant étayer par des arguments absolument sûrs. De surcroît, on peut avancer contre elle un argument qui relève de l'édition. En effet, dans la lacune au début de la ligne 1, il y a la place pour 2-3 lettres tout au plus. La restitution de quatre lettres [Zh/nw]na est donc trop longue, tandis que la restitution que nous proposons, à savoir [Y°v]na, correspond parfaitement à l'étendue de la lacune. Cette restitution est basée sur la confrontation de l'inscription étudiée avec une autre inscription du Musée National de Varsovie, nr inv. 198758, infra no. 49. Il est très probable que la personne honorée par cette inscription, le fils anonyme de [Th]éôn, est identique avec Théagénès fils de [ ? ? ?]n, l'auteur de notre dédicace; pour les arguments en faveur de cette identification voir A. Łajtar, JJP 27 (1997), p. 28-30 et commentaire de l'inscription no. 49.

)Aqhnaieu/j est selon toute vraisemblance un démotique d'Alexandrie. Ce démotique est également porté par la personne honorée dans l'inscription no.49, qui, à notre avis, est Théagénès, auteur de la dédicace ici présentée. Que son nom apparaisse dans l'inscription étudiée ici sans le démotique n'a probablement aucune importance. Cette opinion n'est pas partagée par Schubart, op. cit., p. 366, qui voit dans cette absence la confirmation du fait que Théagénès ne possédait pas la totalité des droits politiques à Alexandrie. Mais en vérité, il était évident pour tous qu'il appartenait au même dème que son père. Le nom du dème, qui se réfère à la déesse Athéna, indique que le dème en question faisait partie de l'organisation primitive du corps civique d'Alexandrie, qui datait encore du temps de Ptolémée I. Sur les démotiques d'Alexandrie, voir commentaire de l'inscription no. 43, l. 5.

2-5.Dans la présentation de la personne honorée figurent les noms de deux fonctions (e)pi\ tou= logisthri/ou tw=n nomarxikw=n et pro\j th=i e)pistatei/ai tou= cenikou= e)mpori/ou) ainsi que le titre honorifique geno/menon e)n toi=j prw/toij i)/loij attaché à l'exercice de la première d'entre elles, très certainement plus importante dans la hiérarchie des dignités de l'État ptolémaïque. Il est impossible de répondre avec certitude à la question de savoir si Théôn a exercé ces deux fonctions parallèlement ou successivement, suite à un avancement: employé d'abord comme préposé à l'entrepôt de marchandises appartenant aux étrangers, puis comme chef de l'office fiscal.

En dehors de l'inscription étudiée, l'expression «geno/menoj + titre d'honneur » apparaît dans P. Tebt. I 61b, ll. 362-363 (où elle qualifie un certain Phanias qui était ı geno/menoj e)n toi=j prw/toij fi/loij kai\ stratego\j kai\ e)pi\ tw=n proso/dwn; cette même personne revient, mais sans ses titres honorifiques, dans P. Tebt. I 61b, ll. 46-47 et dans P. Tebt. I 72) et sans doute aussi dans une inscription honorifique de Philae SB I 632, dans laquelle, au lieu de [tw=n i)soti/mwn toi=j] prw/toij fi/loij (A. Bernand dans: IPhilae I, no. 13 restitue [tw=n o(moti/mwn toi=j] prw/toij fi/loij), il faudrait plutôt lire [tw=n genome/nwn e)n toi=j] prw/toij fi/loij; cf. Mooren, La hiérarchie de la cour ptolémaïque, p. 153-154. Le participium aoristi employé dans ces cas ne signifie nullement que la personne portant le titre aulique d'honneur est décédée, il indique tout simplement qu'elle n'occupe plus le poste auquel ce titre est rattaché; cf. Mooren, Hiérarchie, p. 154-155. Ainsi, au moment de l'érection de l'inscription, Théon était encore bel et bien vivant mais il n'était plus préposé au bureau des comptes fiscaux des nomes et, par cela même, il n'appartenait plus à la catégorie des «premiers amis».

Les deux fonctions de Théon ne sont attestées que par cette unique inscrip-tion. La première d'entre elles - e)pi\ tou= logisthri/ou tw=n nomarxikw=n - est liée à la fiscalité; pour les généralités sur l'organisation de la fiscalité de l'État ptolémaïque, cf. Wilcken Ostraka I, p. 422-512; pour la charge de Théon voir plus particulièrement Schubart, op. cit., p. 367-369. Au sein du bureau central des impôts à Alexandrie (logisth/rion), Théon était chef du département chargé du calcul des impôts dont la perception était ensuite confiée à des nomarques (ta\ nomarxika/). Comme le calcul des impôts était effectué pour l'ensemble du nome par les eklogistai, la fonction de Théon peut être définie plus précisément comme celle d'eklogistès en chef. En qualité d'eklogistès en chef, Théon relevait sans doute directement du ministre des finances - le dioikétès. Comme tel, il portait le titre honorifique inférieur d'un grade par rapport à celui de son supérieur hiérarchique. Les dioikétai portaient le titre d'honneur de tw=n prw/twn fi/lwn dans les années quarante; vers 120 av. J.-C., ils sont devenus suggenei=j. C'est à peu près à la même époque qu'il faudrait situer l'attachement à la fonction d'eklogistès en chef du titre tw=n prw/twn fi/lwn qui, auparavant, n'était octroyé qu'à ses supérieurs. Compte tenu du fait que Théon, en tant qu'ex-eklogistès en chef, est aussi ex-tw=n prw/twn fi/lwn, il est légitime de penser que notre inscription n'est pas antérieure au milieu de la deuxième décennie du II s. av. J.-C.; cf. Mooren, Hiérarchie, p. 158.

Quant à la seconde fonction de Théon - pro\j th=i e)pistatei/ai tou= cenikou= e)mpori/ou = « préposé à l'entrepôt de marchandises appartenant à des étrangers » (au port d'Alexandrie) - voir Schubart, op. cit., p. 369-371. Ce ceniko\n e)mpo/rion est mentionné aussi dans P.Tebt. I 5, 33-35 = Wilcken, Chrestomatie, no. 260 (décret de Ptolémée VIII sur l'amnistie): [o(moi/wj de\ per]i\ tw=n ei)sago/[ntwn] dia\ tou= cenikou= e)mpori/ou [ env. 17] ? ? [e)p ) a]u)th=j th=j pu/lhj h(i e)pi/lhmyij [gine/sqw]. Il faisait très vraisemblablement partie du grand e)mpo/rion alexandrin qui, selon Strabon XVII 9, se trouvait dans le port oriental, entre le Kaisareion et l'Heptastadion. Cet endroit servait d'entrepôt à des marchandises étrangères qui attendaient le passage à la douane égyptienne ou le transbordement. Le préposé de l'entrepôt veillait au maintien de l'ordre et à l'encaissement de taxes de douane. La carrière de Théon s'est donc déroulée dans le cadre des services financiers du royaume des Ptolémées.

6-8.L'auteur de la dédicace, Théagénès, est probablement identique avec la personne honorée par l'inscription no. 49. Les arguments en faveur de cette identification sont cités dans le commentaire de cette inscription. Pour la fonction d'eisangéleus exercée par Théagénès, voir commentaire de l'inscription 47, l. 6. Cette fonction pouvait être réelle ou honorifique. La formulation précise tw=n e)fhmereuo/ntwn toi=j basileu=sin ei)saggele/wn - « (du corps) des eisangéleis qui sont toujours au service du roi » (qui n'est attestée qu'ici et dans l'inscription no. 49) ne laisse aucun doute quant au caractère réel du poste occupé par Théagénès; cf. le commentaire détaillé de ce fragment chez Schubart, op. cit., p. 371-372. On notera que dans l'inscription étudiée, à la fonction d'eisangéleus correspond le titre honorifique de tw=n prw/twn fi/lwn, alors que dans l'inscription no. 49, le titre de tw=n o(moti/mwn toi=j suggene/si, supérieur d'un grade au premier. Cette différence s'explique par la chronologie: l'inscription no. 49 est postérieure de quelques années à celle que nous étudions ici.

9.         ÑArbai=qoj est une transcription grecque du nom du dieu égyptien Harmerti (Hr-mrtj), qui signifie « Horus des deux yeux ». Il s'agit là d'une hypostase locale d'Horus dont le culte était répandu sur le territoire du 11 nome de la Basse Égypte (Delta oriental) et dans sa capitale Sdnw. Le temple consacré à ce dieu, appelé pr-hr-mrtj, qui se trouvait en ville est à l'origine de la transcription grecque Pharbaithos qui s'est ensuite étendue sur toute la ville et sur le nome. Le culte de Harmerti est attesté dans les sources depuis la 26 dynastie. On le vénérait comme un dieu d'esprit guerrier qui combat avec sa lance les ennemis de Rê et d'Osiris. On lui offrait comme ex-voto les représentations du soleil et de la lune, les « yeux » d'Horus. Sur Harmerti voir M. Weber, L.Äg. II [1977], col. 996-997, s.v. « Harmerti ». Selon Ronchi, loc. cit., notre inscription est la seule source grecque qui mentionne le dieu appelé ÑArbai=qoj. Le fait que Harmerti (ÑArbai=qoj) fasse l'objet d'un culte particulier sur le territoire du 11 nome de la Basse Égypte nous autorise à penser que c'est là, au temple de Pr-Hr-mrtj (Pharbaithos), que fut érigée et dédiée à ce dieu l'inscription en l'honneur de [Théô]n fils d'Apollodôros. Les sources égyptiennes attestent que Harmerti était vénéré à Sdnw (Pharbaithos) en compagnie d'Isis, d'Atum et d'Iusas; cf. Weber, loc. cit. Ce sont sans doute ces divinités, et peut-être quelques autres encore, que désigne l'expression su/nnaoi qeoi/. Cette hypothèse est, certes, très probable, mais il est impossible d'en exclure une autre, à savoir que l'inscription ici présentée a été érigée à un autre endroit d'Égypte, p.ex. à Alexandrie où Harmerti pouvait être vénéré par un groupe de population indigène.

[A.Ł.]


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