61

61. DÉDICACE D'UN TEMPLE AVEC PUITS ET PLANTES À LA MÉMOIRE DE NÉMESIÔN, FILS D'ANÉBOTIÔN, EN ACCOMPLISSEMENT D'UN ORDRE DONNÉ PAR LA DÉESSE ISIS

Département de l'Art antique, inv. 198828. Le monument porte un autre numéro d'inventaire, à savoir « Inv. A1 », écrit à l'encre noire en grandes lettres. Selon toute vraisemblance, ce numéro est en rapport avec l'ancien propriétaire de la pierre (Lyceum Hosianum à Braunsberg).

Lieu et contexte de la découverte inconnus. Anciennement dans la collection du Lyceum Hosianum à Braunsberg, depuis 1947 au Musée national de Varsovie. La pierre provient sans aucun doute d'Égypte mais il est impossible de définir sa provenance avec plus de précision.

Calcaire blanc couvert de patine grise. Stèle cintrée, très allongée; h. 54,5 cm, l. 19,5 cm, ép. 9,5 cm; tout le côté droit de la stèle vraisemblablement retaillé; coins supérieurs brisés. À gauche et en haut de la stèle, le long des bords, une moulure qui délimite le champ épigraphique avec le décor; une moulure identique se trouvait sans doute du côté droit. Dans la partie supérieure de la pierre, dans le cintre délimité au bas par une moulure plate, un disque ailé flanqué de deux serpents en bas-relief. L'inscription est gravée en haut du champ épigraphique et occupe env. 2/3 de sa surface. La gravure est profonde mais les lettres ne sont pas régulières, en hauts sensiblement plus petits et plus larges qu'au bas de l'inscription. La hauteur des lettres varie entre 1 cm (omicron) et 2,3 cm (phi), h. moyenne env. 1,5 cm.

D'après la pierre au Musée National de Varsovie, A. Łukaszewicz, « Une inscription grecque d'Égypte au Musée National de Varsovie » dans: Essays in Honour of Prof. Dr. Jadwiga Lipińska [= Warsaw Egyptological Studies 1], Varsovie 1997, p. 315-318 (H. W. Pleket, SEG XLVII 2147).

Cf. B. Holtzmann, Universalia 1986, s.v. «Louis Robert» (photographie de L. Ro-bert qui a copié cette inscription au Musée National de Varsovie, le 21 avril 1958).

J. Bingen, Bull. épigr. 1998, 564 (sur la publication de Łukaszewicz). A. Łajtar, ZPE 125 (1999), p. 158, no. 62.

5 janvier 91 ap. J.-C.

[k]a?t ) e)pitagh\n?

th=j kuri/aj qea=j?

 )/Isidoj )nete/-

4 qh sth/lh mne[i/]-

aj Nemesi/wnoj?

ui(ou= )Anebwti/w-

noj tou= kata-

8 skeua/santoj

tw\{i} i(<e>ro\n su\n

u(dreu/mati ka[i\]

futoi=j:

12 (e)/touj) Øi Dometianou=

tou= kuri/ou Tu=bi Øi.

5. Nemesi/wno[j] Łukaszewicz || 9. TWIICRON pierre, tw=i i(ero/n Łukaszewicz lire to\ || 12. L pierre

Suivant l'ordre de la dame déesse Isis, cette stèle a été consacrée à la mémoire de Némesiôn fils de Anébotiôn, qui avait construit ce lieu saint avec la citerne et les plantes. L'an 10 de Domitien le seigneur, Tybi 10.

1-3.Sur kat¡ e)pitagh/n et les expressions apparentées (kat¡ eu)xaristh/rion, kata\ pro/stagma, kat¡ o)/neirion, kaq¡ o(/rama vel simile aliquid) dans les inscriptions grecques voir F. T. van Straten, « Deikrates Dream. A votive Relief from Kos and some other kat' onar Dedications », BABesch 51 (1976), p. 1-38, en particulier p. 24-25: liste des dédicaces érigées kat' e)pitagh/n (très incomplète). L'inscription ici présentée atteste une deuxième fois seulement la formule kat¡ e)pitagh/n dans les inscriptions grecques d'Égypte. La première occurrence a été retrouvée dans IAlexImp, no. 56 datée du 19 juin 29 av. J.-C.: dédicace d'une pro/sbasij par Euthynicos et Bérénice érigée, elle aussi, sur l'ordre de la déesse Isis. En dehors de l'Égypte, cette formule revient très fréquemment (quelques dizaines d'occurrences dont la plupart en Grèce métropolitaine et en Asie Mineure). Nous sommes dans l'impossibilité de constater avec certitude comment la déesse a exprimé sa volonté à la personne responsable de l'érection de l'inscription. Très vraisemblablement, ce que semblent dénoncer différents témoignages épigraphiques et littéraires analogues, le message a été transmis pendant le sommeil. On constatera avec étonnement que la personne qui reçut l'ordre d'Isis et, conformément à ce voeu, se chargea de l'érection de la stèle avec inscription, ne soit pas désignée dans le texte par son nom.

4.         Avant le mot sth/lh devrait se trouver un article. Peut-être faut-il envisager une haplographie et lire a)nete/qh <h(> sth/lh.

4-5.Le mot mne[i/]aj indique qu'au moment de l'érection de l'inscription (le 5 janvier 91 ap. J.-C.) Némesion fils d'Anébotion, auteur de la fondation décrite dans les lignes 9-11 (cf. commentaire ad locum), était déjà décédé. Tout porte à croire que sa mort était assez récente et que c'était une personne connue du rédacteur de l'inscription.

9-11. Sur le sens du mot u(/dreuma dans les sources grecques d'Égypte voir D. Bonneau, Le régime administratif de l'eau du Nil dans l'Égypte grecque, romaine et byzantine [= Probleme der Ägyptologie 8], Leiden - New York - Köln 1993, p. 61-62. Selon lui, u(/dreuma est « une citerne destinée à garder l'eau qui s'accumule de façon naturelle, sans intervention de la main de l'homme ». On distinguait deux types de citernes en fonction du système d'alimentation en eau: «pegai/wn u(/dreuma, ‘citerne de source', dont l'eau est pérenne comme celle d'une source, et a)nabatiko\n u(/dreuma, ‘citerne d'eau d'inondation', qui n'a d'eau qu'au moment de la crue (a)na/basij)». En règle générale, les u(dreu/mata étaient situées en dehors des agglomérations et pouvaient prendre des dimensions importantes. Elles étaient bordées d'arbres: acacias et persées. Les ÍdreÊmata sont mentionnées plusieurs fois dans les papyrus grecs d'Égypte, surtout dans les textes de la période byzantine. Les témoignages épigraphiques des u(dreu/mata sont par contre relativement rares; nous avons noté: IPan, nos. 37 (= SEG XXXVI 1399); 69; 80; IKoKo, no. 60. Ce qui mérite une attention toute particulière dans le contexte de notre inscription c'est l'inscription IPan, no. 69: une dédicace d'un temple (to\ i(ero/n) avec la statue de la divinité (to\ zidion) et la citerne (o( la/kkoj tou= u(dreu/matoj).

Le mot futo/n se rapporte plus particulièrement à des arbres et des plantes de jardin, ta\ futa/ correspond donc ici à kh=poj. Les arbres et les plantes de jardin constituaient un élément permanent de temples égyptiens depuis la plus haute période pharaonique jusqu'à la période romaine; cf. J.-Cl. Hugonot, Le jardin dans l'Égypte ancienne [= Europäische Hochschulschriften 38.27], Frankfurt/Main 1989, p. 21-85. On les mentionne aussi comme élément d'espace sacré dans les inscriptions grecques. Les inscriptions sur le pilier de Ptolémaios Agrios (Panopolis, haute époque impériale) attestent que il prenait soin des palmiers et des persées plantés à proximité du temple de Pan (Min);cf. É. Bernand, Inscriptions métriques, no. 114 II, 12-15 et IV, 8. Une inscription sans date précise du règne d'Antonin le Pieux gravée sur une stèle de Coptos (IPortes, no. 74) commémore la dédicace d'une khpi/on faite au temps où Paniskos, fils de Ptollis, était prostate d'Isis. Selon IPortes, no. 86 (Koptos, 13 août 219 ap. J.-C.), un certain Marcus Aurelius Apollonis to\n kh=pon e)k qemeli/ou a)n%kodo/mhsen kai\ e)zwgra/fhsen su\n toi=j futoi=j. Le mot e)zwgra/fhsen indique qu'il s'agit là vraisemblablement d'un jardin peint; cf. R. S. Bag-nall, « The Painted Garden of Coptos », CdÉ 71 (1996), p. 145-152. Puisque dans notre inscription les ta\ futa/ sont mentionnés à côté des to\ u(/dreuma, il ne fait pas de doute qu'il s'agit d'un véritable jardin.

À la lumière de ce qui précède, la fondation de Némesion, fils d'Anébotion, peut être décrite comme suit. Il s'agissait très vraisemblablement d'une chapelle ou d'un petit temple (to\ flero/n) au milieu des plantes et des arbres de jardin (ta\ futa/). L'ensemble comprenait en plus une citerne (to\ u(/dreuma) qui servait à recueillir l'eau destinée à l'entretien des plantes et, peut-être, à d'autres usages, y compris à l'usage cultuel; sur la signification de l'eau dans le culte des divinités égyptiennes à l'époque gréco-romaine cf. R. A. Wild, Water in the Cultic Worship of Isis and Sarapis [= Études préliminaires aux religions orientales dans l'Empire Romain 87], Leiden 1987, passim. L'ensemble aurait été dédié à Isis sur l'ordre de qui fut érigée l'inscription ici présentée.

12.       Sur la graphie Dometiano/j pour le latin Domitianus voir Brixhe, Essai, p. 54.Elle s'explique par les changements survenus dans la langue latine. À l'époque impériale, le */i/ latin primitif était prononcé comme un /e/ et transcrit en grec soit «i» soit «e».

[A.Ł.]