74

74. ÉPITAPHE D'OLYMPIAS, FILLE D'ATHÉNODÔROS, LA LIBYENNE, ET [ ]DAMAS, FILS DE DAMATRIOS, DE THÉANGÉLA

Département de l'Art antique, inv. 198802.

Lieu et contexte de la découverte inconnus. Anciennement dans la collection du Lyceum Hosianum à Braunsberg, depuis 1947 au Musée National de Varsovie. Compte tenu de la nature de la pierre et de l'histoire de la collection de Braunsberg, il est légitime de penser que le monument vient d'Égypte (voir infra).

Calcaire. Stèle rectangulaire avec scène de banquet en bas-relief; h. 57 cm, l. 43 cm. ép. 8,6 cm; surface de la pierre travaillée très sommairement et non polie; relief inachevé, ce qui rend difficile l'identification de l'iconographie. Le relief compris dans un cadre rectangulaire aux dimensions: h. 40,5 cm, l. 34 cm. Sur un lit funéraire muni de pieds massifs (on ne voit que le pied droit) sont couchés, de droite à gauche, un homme et une femme tournés vers la droite; le corps de la femme cache le bas du corps de l'homme. Les deux s'appuient de leur avant-bras gauche sur le coussin et tiennent dans la main gauche un objet dont la nature ne peut pas être identifiée. De la main droite en semi-flexion, l'homme tient un autre objet, très vraisemblablement un récipient à boire (rhyton ou canthare). La femme, le bras droit reposant sur la hanche droite, tend la main droite vers un objet que lui passe la servante debout au pied gauche du lit. À gauche, derrière le lit, à hauteur des jambes de la femme, une figure d'enfant debout. L'inscription est gravée au-dessous du champ à relief. Gravure assez soignée. Lettres carrées dont les formes sont typiques du haut hellénisme (alpha à barre médiane droite, thêta avec un point au centre, haste droite du nu plus courte que la gauche). H. des lettres 0,9 - 1,2 cm. Il est à signaler que l'inscription est travaillée avec beaucoup plus de soin que le relief et, à la différence de ce dernier, donne l'impression d'être parfaitement achevée. Tout porte donc à croire que nous avons ici affaire à une version achevée du monument funéraire qui aurait été érigé tel quel sur la tombe. Cette constatation ne peut que nous étonner.

D'après la pierre au Musée National de Varsovie, A. Twardecki, « Eine unpublizierte griechische Inschrift aus Warschau », ZPE 102 (1994), p. 307-309 (H. W. Pleket, SEG XLIV 1509). D'après la pierre, A. Twardecki dans: XI Congresso Internazionale di epigrafia Greca e Latina, Roma 1999, p. 740.

Cf. Cl. Brixhe, Bull. épigr. 1995, 537 (sur la publication de Twardecki; il conteste la provenance égyptienne de la pierre). A. Łajtar, ZPE 125 (1999), p. 159, no. 78.

III s. av. J.-C., d'après la paléographie et les arguments historiques: fin de l'autonomie politique de Thénagéla dans la première moitié du II s. av. J.-C.

[)Olu]mpia\j )Aqhnodw/rou Li/busa

[. . .]da/maj Damatri/ou Qeaggeleu/j.

1. [)O]lumpi/aj )Aqhno/dorou Libu/sa Twardecki [1999]; lire Li/bussa

Olympias, fille de Athénodôros, Libyenne, [- - -]damas, fils de Damatrios,

de Théangéla.

La provenance de la pierre prête aux controverses. Pour la définir, il faut en effet tenir compte de deux éléments: 1) histoire de la collection épigraphique du Lyceum Hosianum à Braunsberg qui abritait des monuments acquis pour la plupart en Égypte (Le Caire, Alexandrie) et en Turquie ottomane (Istanbul, Smyrne); 2) nature de la pierre (calcaire) et iconographie du relief. Se basant sur ces deux éléments A. Twardecki dans l'editio princeps attribua le monument à l'Égypte. Cette attribution fut mise en question par Cl. Brixhe qui, dans son commentaire de la publication de Twardecki dans Bull. épigr. 1995, 537, classe le monument sous Théangéla (avec un ponit d'interrogation). Cependant la provenance de la pierre de Théangéla est plus que douteuse, pour deux raisons au moins: 1) Au III s. av. J.-C. l'ethnique n'aurait pas dû apparaître dans une inscription provenant de la ville concernée par le texte. L'usage de l'ethnique dans la cité natale est tardif (époque impériale) et relativement rare; voir. L. Robert dans: Fıratlı, Stèles, p. 171. 2). Le calcaire comme matériau se justifie difficilement dans la ville du sud-ouest de l'Asie Mineure où c'était le marbre qui était utilisé couramment à cet effet. Compte tenu de ces incertitudes, nous maintenons notre première attribution de cette inscription à l'Égypte.

Sur Li/bussa voir L. Moretti, w= Li/bussai nel diagramma di Cirene », Rendi-conti della Pontificia Accademia Romana di Archeologia 60 (1987-1988), p. 237-251 (avec bibliographie antérieure). Le terme Li/bussa pouvait revêtir deux sens. En effet, il exprimait d'un côté l'appartenance de la personne à la population berbère indigène du territoire de l'actuelle Libye et de l'autre l'appartenance politique à une des cités grecques de Pentapolis de Cyrène. Dans le cas étudié, il s'agit très vraisemblablement de la seconde signification de ce terme.

Il est aussi possible de lire Da/maj (ou Dama=j), à condition qu'il ne manque aucune lettre à gauche. Cette lecture présente l'avantage de situer le début des deux lignes à la même distance du bord gauche de la stèle. Au cas où on admettrait la lecture proposée plus haut, le début de la ligne 2 serait déplacé légèrement à gauche par rapport à celui de la ligne 1.

Sur Théangéla voir W. Ruge dans: RE V A [1934], col. 1373-1377, s.v. « Theangela »; L. Robert, Collection Froehner I, Inscriptions grecques, Paris 1936, p. 84-85; G. E. Bean, J. M. Cook, BSA 50 (1955), p 112 ff et 145 ff. Théangéla était une ville de Carie, à env. 40 Km au nord-est d'Halicarnasse. Elle fut sans doute fondée par la dynastie de Mauzolos carien qui, dans la première moitié du IV s. av. J.-C., entreprit une grande oeuvre d'hellénisation du royaume. C'est dans le cadre de cette action que les Lélègues originaires de Syangéla auraient été déportés vers une nouvelle ville qui aurait reçu le nom grec Théangéla. Selon une autre hypothèse, la ville aurait été fondée par les colons de Trézène. Comme polis indépendante, Théangéla disparut dans la première moitié du II s. av. J.-C. lorsqu'elle fut annexée à Halicarnasse. La fin de l'existence politique autonome de Thénagéla constitue donc le terminus ante quem pour notre inscription. Au III s. av. J.-C., pendant un certain temps, les cités de la côte sud-ouest de l'Asie Mineure, y compris Thénagéla, firent partie du royaume des Lagides. Cette situation favorisait certainement la migration, aussi bien individuelle que collective, de Carie en Égypte. Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler Zénon, administrateur du domaine du dioikétès Apollonios (milieu du III s. av. J.-C.), originaire de Kaunos en Carie, qui s'entourait volontiers de compatriotes. La présence d'immigrés de Théangéla en Égypte est bien attestée dans nos sources; à ce sujet voir Perdrizet-Lefebvre, Memnonion, no. 302 (commentaire).

Le nom du père du défunt (Dama/trioj) a une forme dialectale dorique, alors que le père d'Olympias ()Aqhno/dwroj), lui, porte un nom grec issu de la koiné. Cette « inconséquence » peut sans doute être interprétée de façon suivante: le dialecte dorique n'était pas spécifique du milieu dans lequel l'inscription fut rédigée. Le rédacteur du texte reprit les formes propres au milieu dont étaient issus les défunts. Le dialecte dorique, spécifique de Théangéla, y garda pendant longtemps son importance malgré le progrès de la koiné.

[A.T.]


AttachmentSize
74.pdf99.8 KB